Des financiers lorgnent le magot des pharmaciens.

Bien que seuls les apothicaires aient le droit d’être actionnaires des pharmacies, des as de la finance ont trouvé le moyen de s’immiscer quand même dans leurs affaires. Et ce alors que les officines sont en net regain de forme depuis la crise sanitaire…

Parce qu’une pharmacie prospère se vend de six à sept fois (parfois plus) l’équivalent de son résultat annuel d’exploitation, il faut plusieurs centaines de milliers d’euros pour s’en offrir une. Une somme que les banques refusent parfois d’avancer à un jeune diplômé désargenté, car elles estiment le risque trop élevé. Et c’est là qu’interviennent de généreux fonds d’investissement. Mais la façon dont ils avancent l’argent a de quoi interroger.

Certains de ces prêts sont en effet réalisés sous forme de bons de souscription d’actions (BSA), voire d’obligations convertibles en actions (OCA).

Ainsi, théoriquement, en cas de défaut de paiement, les fonds d’investissement émettant ces OCA pourraient devenir propriétaires de la pharmacie. En sous-main, car cela leur est interdit !

« C’est peut-être une bombe à retardement », s’inquiète David Alapini, le président du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens des Hauts-de-France, interrogé par « Le Canard ». Car, si le pharmacien ne peut rembourser, « que déciderait en dernière instance le droit européen ? De faire appliquer le Code de la santé publique ou celui des affaires, qui mettrait l’officine aux mains de financiers » ?

Un contrôle bien cachet

Pour plus de subtilité et de secret, les OCA ou les BSA représentent des parts de la holding (quand il y en a une) contrôlant la société d’exploitation de la pharmacie et non la pharmacie elle-même… Les prêteurs paraissent respecter un semblant de légalité. Ainsi « aidé », le pharmacien peut-il rester indépendant ?

« Quand quelqu’un vous tient par la finance, même s’il n’a pas de droit de vote à votre assemblée générale, il a forcément une influence. On ne comprend pas grand-chose à ces tambouilles économiques. On n’est pas formés pour », estime un pharmacien du sud de la France.

« Même s’il n’est pas majoritaire en euros, le pharmacien reste seul maître à bord, rétorque Pierre-Emmanuel Petit, cofondateur d’Arpilabe, société de conseil qui investit dans les pharmacies en BSA. Notre intérêt commun, c’est que l’officine prospère. Personne n’a intérêt à ce que ça ne fonctionne pas… en tout cas chez nous ! » Emouvant. D’autant qu’Arpilabe facture mensuellement des services (ressources humaines, gestion, marketing…). Et qu’il travaille avec le fonds de placement 123 1M, qui investit en OCA dans les officines.

Pour avoir leur part du gâteau, plusieurs groupements de pharmacies (dont les adhérents bénéficient de ristournes sur les médocs et la parapharmacie) ont eux aussi lancé leur propre offre d’investissement. Exemple, le groupement Lafayette, récemment repris par la banque publique Bpifrance, qui n’a pas souhaité s’en ouvrir au « Canard »…

Pour tenter de contrôler un phénomène à la mode, l’Ordre des pharmaciens a obtenu du législateur que les « rapports entre associés et, lorsqu’ils existent, entre associés et intervenants concourant au financement de l’officine » soient communiqués à chaque ordre régional. En vigueur depuis mai, le texte tarde cependant à être appliqué et l’opacité règne.

Besoin de vitamines ?


Jérôme Canard. Le Canard enchaîné. 14/12/2022


3 réflexions sur “Des financiers lorgnent le magot des pharmaciens.

  1. bernarddominik 21/12/2022 / 18h04

    Rien n’échappe aux financiers

    • Libres jugements 21/12/2022 / 21h23

      Ce qui est sûr, c’est que les vautours s’arrogent toujours à trouver des carcasses à rentabiliser, en trouvant l’entrée cachée dans les lois et obligations, édictées au départ pour hyper professionnaliser et responsabiliser cette profession.
      Auprès de tous commerces légaux, il y a possibilité de rentabilisé des investissements… parfois illégaux.
      Amitiés
      Michel

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