Ces activistes…

… militants écologistes s’inscrivent dans une longue histoire des mouvements sociaux.

Le sociologue Érik Neveu (Professeur émérite de science politique, spécialiste des mouvements sociaux) fait le lien entre les différentes époques.

  • Avec les actions chocs de la génération climat, certains ont l’air de découvrir une pratique qui ne date pourtant pas d’hier : la désobéissance civile. Quand est-elle apparue ?

Érik Neveu – Elle tient son origine dans des mouvements religieux, et notamment les quakers aux États-Unis. Des protestants, avec une vision de la religion assez égalitariste, très présents dans la lutte contre l’esclavage, ont organisé des filières d’évasion d’esclaves fugitifs. Toujours aux États-Unis au XIXe siècle, l’écrivain Henry David Thoreau refusait de payer ses impôts pour ne pas payer l’esclavagisme et les guerres de l’État fédéral. Il a été le premier à écrire un texte qui porte le titre la Désobéissance civile. Et on peut tirer le fil jusqu’à Gandhi et au mouvement des droits civiques américain. Ils violent la loi consciemment parce qu’elle est injuste et vont en subir les conséquences. En France, on peut citer le Manifeste des 121 pendant la guerre d’Algérie, où des intellectuels appelaient à soutenir les déserteurs, et celui des 343 femmes qui disaient avoir avorté pour montrer que la loi était intenable.

  • Quelles victoires la désobéissance civile a-t-elle aidé à gagner ?

E. N. – Le mouvement des droits civiques a quand même acquis des choses : le dispositif d’inégalité des droits entre les Noirs et les Blancs a été démantelé. De même, obtenir l’indépendance de l’Inde, ce n’est pas rien. Autre exemple sur lequel a travaillé l’historien Jacques Sémelin : dans l’Allemagne des années 1930, il y a eu des mouvements conjoints de personnes malades ou handicapées menacées d’être euthanasiées qui ont obtenu des reculs du pouvoir nazi. La désobéissance a marché et on peut donc se dire qu’elle peut encore marcher.

  • A-t-on moins de tolérance pour la désobéissance civile que par le passé ?

E. N. – Au début du XXe siècle, les suffragettes ne se sont pas contentées de coller leur main à une peinture, mais elles ont lacéré à coups de couteau un Velazquez dans un musée. C’était autrement plus violent qu’aujourd’hui où une gamelle de soupe est balancée sur un tableau protégé, il faut le rappeler, par une vitre. Est-ce moins bien reçu aujourd’hui ? Je l’ignore. Dans le cas français, ce qui joue dans la réception de ces actions, c’est qu’il y a énormément de médias marqués à droite. Reste qu’on peut se questionner sur la sociologie des personnes touchées par ces actions dans des musées : la majorité de la population n’y va jamais, et encore moins les classes populaires. Des formes d’actions qui combineraient dimension spectaculaire, questions sociales et questions environnementales seraient peut-être plus efficaces ou mieux perçues.

  • Pourquoi les réactions politiques, à l’instar de la notion d’« écoterrorisme » utilisée par Gérald Darmanin, sont-elles aussi virulentes ?

E. N. – C’est la criminalisation des mouvements sociaux. C’est-à-dire suggérer que toute prise de parole allant au-delà du registre de l’expression bienveillante d’un désaccord met le doigt dans l’engrenage de la violence. Nous sommes dans une séquence de raidissement conservateur et d’intensification des mouvements sociaux qui n’ont jamais été aussi nombreux. L’un des problèmes de notre pays est l’inexistence d’une sorte de dialogue social parce qu’il est perçu comme humiliant par les personnes au pouvoir. Ou si elles acceptent de discuter, c’est sur le mode pédagogique. Comme il n’y a pas de cadre de négociation organisée, cela crée la tentation d’actions plus agressives. On peut le regretter, mais si la révolte des gilets jaunes est le seul mouvement social d’envergure nationale à avoir obtenu des choses, c’est parce qu’ils ont fait très peur au pouvoir en utilisant parfois la violence. De fait, ça marche.

  • Faut-il s’attendre à ce que, demain, ces actions changent d’intensité à mesure que l’urgence climatique s’accroît ?

E. N. – Quand ceux qui ont 20 ans voient les gouvernants faire semblant de vider la mer avec une cuillère à thé, cela suscite inquiétude, colère et effarement. S’ils ont l’impression de recevoir des coups de matraque comme seule réponse, on ne peut pas exclure qu’il y ait une tentation de la violence contre les biens ou les personnes.


Emilio Meslet. Source (Extraits)