Une opération Militaire censurée au Parlement

Deux services français de renseignement avaient aidé l’aviation égyptienne à bombarder des civils.

Membres de la Délégation parlementaire au renseignement, deux députés, deux sénateurs et deux hauts magistrats (de la Cour des comptes et de l’Inspection des finances) ont pour mission de vérifier l’utilisation des fonds spéciaux attribués aux sept services secrets et au coordonnateur du renseignement, qui dispose d’un bureau à l’Elysée.

Prenant leur rôle au sérieux, élus et magistrats ne se sont pas contentés de contrôler cette comptabilité qui permet de camoufler de bien mystérieuses dépenses. Ils ont osé, en effet, s’intéresser à une opération barbouzarde menée naguère en faveur de notre ami égyptien le maréchal Sissi, dont les prisons hébergent quelque 60 000 détenus politiques.

Révélée le 25 novembre 2021 par le média en ligne Disclose, cette aide apportée en 2016 à l’aviation égyptienne par la DGSE et la Direction du renseignement militaire (DRM) avait permis la réussite d’un certain nombre de bombardements et l’élimination de civils considérés comme des opposants.

Un an plus tard, à la fin octobre 2022, le rapport annuel de la Délégation parlementaire au renseignement (80 pages) ne pouvait ignorer ces actions clandestines, qualifiées de « dérives d’une opération militaire secrète de la France en Egypte ayant permis à l’aviation égyptienne de bombarder des civils ».

Interdictions barbouzardes

Cette coopération, qui a duré de 2016 à 2018, n’est pas à la gloire de la patrie des droits de l’homme. C’est à la suite d’une demande adressée par son collègue égyptien à Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense du président Hollande, que tout a débuté.

On ne pouvait rien refuser au maréchal Sissi : les ventes d’armes françaises (Rafale, blindés, corvettes, une frégate et deux porte-hélicoptères) se multipliaient. En 2014, un contrat baptisé « Sirli » (du nom d’un oiseau du désert)  avait été signé avec Le Caire afin de garantir le secret des ventes d’armes et celui des actions clandestines menées en Egypte.

Une précision apportée par « Le Canard » sur la méthode pratiquée : un avion léger de surveillance et de reconnaissance avait alors été loué, qui emportait à son bord quatre analystes de la DGSE et de la DRM. Lesquels ont pu, pendant deux ans, fournir aux pilotes égyptiens des « objectifs » afin de leur permettre de pratiquer la chasse aux opposants.

« Une enquête parlementaire », a écrit le Volatile le 1er décembre 2021, permettrait de découvrir « si des officiers français présents sur la base militaire de Marsa Matruh, à l’ouest du Caire, ont été ou non complices de leurs collègues égyptiens ».

Erreur : il n’est pas question de permettre à de simples élus et à des magistrats de pourfendre de telles pratiques.

Découvrant le contenu du rapport des parlementaires, les agents du renseignement leur ont opposé la « nécessité que le contrôle ne puisse en aucun cas entraver le bon déroulement de l’activité opérationnelle des services [sur tout ce qui a trait] aux échanges avec des services étrangers ».

Conclusion : plusieurs extraits du rapport ont été censurés.

Une autre opération « bizarre » avait suscité la curiosité de la Délégation parlementaire au renseignement. Le logiciel de surveillance et d’espionnage Pegasus, exporté par les Israéliens dans une bonne dizaine de pays où l’on adore traquer les opposants, a eu « quelques ramifications » en France. Selon l’enquête des députés et des sénateurs, un millier de lignes téléphoniques ont été écoutées.

« La Délégation au renseignement, est-il écrit dans le rapport déjà cité, relève que le véritable élément de surprise demeure l’ampleur des cibles françaises. » A savoir des personnalités du monde politique et de la presse. Comme Dominique Simonnot, lorsqu’elle était journaliste au « Canard ». Difficile pour l’heure d’en savoir plus, car la suite de cet extrait a elle aussi été censurée.

Le Parlement, qui n’est jamais consulté par les présidents de la République quand ils décident d’une opération militaire à l’étranger, en prend une nouvelle fois pour son grade.


Claude Angeli. Le Canard enchaîné. 09/11/2022


Une réflexion sur “Une opération Militaire censurée au Parlement

  1. bernarddominik 15/11/2022 / 8h46

    L’opacité est la règle pour l’espionnage, mais il devrait y avoir un contrôle sur ces opérations spéciales.
    On est bien dans une culture du pouvoir royal

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