Les grands pouvoirs du ballon rond

À moins d’accepter de se fâcher avec des millions de fanas qui sont autant d’électeurs potentiels, difficile pour les politiciens de ne pas se dire amateurs de foot.

Du moins depuis la fin du règne mitterrandien (quatorze ans de présidence). Mitterrand, passionné de promenades canines et de golf, faisait à peine semblant d’apprécier le jeu à onze.

Son successeur, Chirac, vibrait, lui, pour les sumos nippons. Mais, en vieux routier de la politique, il savait faire peuple, notamment devant les caméras. Une séquence est même devenue culte. Celle où, lors de la finale France-Brésil de la Coupe du monde en 1998, Chirac scande le nom des footeux français. Sauf qu’il n’y connaissait rien et que ça se voyait!

Qu’importe, ça ne l’empêchera pas de profiter de l’euphorie de la victoire en transformant les trois buts des Bleus en une illusion collective. Celle d’une France apaisée, inclusive et Bisounours. Chirac et Zidane, devenus co-capitaines d’un pays « black, blanc, beur ». Une fiction bien utile pour effacer les manquements envers les populations les plus pauvres, notamment envers les « Blacks » et les « Beurs », qui ne sont pas tous footballeurs.

Plus récemment, Macron instrumentalisa lui aussi le trio infernal foot, politique et géopolitique. Un match amical France-Algérie «serait une bonne chose pour conjurer le passé», lançait-il fin août 2022, en marge d’un déplacement chahuté à Alger. Sans que l’on sache si sa phrase faisait référence à la précédente rencontre de 2001 – un fiasco! – ou à la colonisation, sujet toujours hypersensible entre les deux pays.

Sport mondialisé, massifié et populaire, le foot est devenu un pouvoir économique aux prétentions globalisantes. À l’instar d’un Medef, les instances dirigeantes que sont la Fifa et l’UEFA aimeraient bien tenir l’agenda social des pays.

En 2013, dans une déclaration d’une rare condescendance, Michel Platini, alors président de l’UEFA et candidat à la présidence de la Fifa, exhortait les Brésiliens à se calmer – en clair, à cesser émeutes et manifestations – pour rendre «hommage à cette belle Coupe du monde».

Même chose en France, où la droite excelle dans ces reprises de volée déplacées : « Le sport est une réponse à la crise », embrayait Sarkozy en portant la candidature de la France à l’Euro 2016.

Il est vrai que les politiques ont de quoi être jaloux. Le foot sait encore mobiliser les foules, ce que ne fait plus la politique depuis longtemps.

La France est devenue un pays de supporters plus que de citoyens, et n’importe quelle victoire des Bleus rassemble davantage de monde dans la rue qu’un meeting de campagne. Or, Le foot devrait rester le jeu qu’il prétend être. Pas un moyen pour ses instances de s’ériger en superpuissances, ni pour les politiques, de pallier leurs manquements ou de rafistoler le pacte social.

Mais pour ça, il faudrait enfin mouiller le maillot.


Natacha Devanda Charlie hebdo. Hors-série n° 2H