Un tour de rubicon

« J’aimerais parfois qu’il franchisse le Rubicon de façon plus franche », a dit Sarkozy dans le « Journal du dimanche ».

Ce souhait se rapportait à Macron, qu’il incitait ainsi à se rapprocher de LR pour s’éviter les ennuis d’une majorité riquiqui pour gouverner. Macron, qui non seulement y avait déjà pensé depuis longtemps mais avait essayé, avec un succès aussi relatif que sa majorité, n’a pas donné suite. Mais le message de franchissement du Rubicon n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde.

Marine Le Pen ne l’a pas fait « de façon plus franche » mais très sournoise, au contraire, en votant contre toute attente avec les 88 autres députés RN la motion de censure de la Nupes.

Cette rive du Rubicon n’est certes pas celle de LR, mais le franchissement de Le Pen, qu’il s’agisse d’un coup de com’ ou d’un coup de semonce, n’en place pas moins LR, fût-ce contre son gré, du côté de la majorité.

Le parti créé par Sarkozy mais qui est de moins en moins le sien s’est retrouvé en position d’arbitre. S’il avait voté, la censure à laquelle il ne manquait que 50 voix serait passée, et le gouvernement aurait été renversé.

Bien sûr, ni LR ni les autres composantes de l’opposition ne sont pour l’instant demandeuses de pareilles extrémités. Et encore moins des risques que leur ferait encourir la dissolution qui s’ensuivrait. Les motions de censure, c’est bien pour faire du bruit, mais l’hypothèse de devoir retourner aux urnes a vite tendance à calmer.

Cette sournoiserie de Le Pen a évidemment gêné un peu aussi à gauche. Certains membres de la Nupes, PS entre autres, avaient souhaité avant le vote de la motion de censure des ajouts au texte rédhibitoires pour le RN. Cela n’a pas été le cas, ce qui a permis à Marine Le Pen de le trouver rédigé « en termes acceptables » et de le faire voter à ses troupes dans la foulée.

Mais c’est bien sûr à droite, et chez LR en particulier, que cette entourloupe de l’extrême droite énerve le plus.

D’abord parce qu’elle risque en d’autres occasions de se reproduire. Et de mettre à nouveau le parti déjà bien cabossé en embarrassante posture. Ensuite parce que, en rendant en pareil cas nécessaires des compromis avec la Macronie, elle semble, sur la question, donner raison à Sarkozy.

Lequel, en incitant Macron à chercher à « faire un accord avec toutes les bonnes volontés prêtes à constituer une majorité dans l’intérêt supérieur du pays », a déjà sérieusement échauffé ses désormais anciens amis. De Retailleau à Pradié en passant par Ciotti, pourtant flatté, il a réussi à se faire flinguer plus ou moins fort par tous les candidats à l’élection à la présidence de LR, qui aura lieu en décembre.

S’il ne fait aucun doute pour ces candidats que Sarkozy « ne cache plus du tout sa proximité avec Macron », avecle piège Le Pen à l’Assemblée, LR s’est vu retourner le compliment.

En tête, par la patronne du RN, qui a aussitôt lancé : « Désormais, il n’y a plus aucun doute, Les Républicains sont les alliés d’Emmanuel Macron » ; tandis que Mélenchon lâchait : « La droite sauve le gouvernement de justesse. » La droite a eu beau dénoncer « une alliance contre nature », elle s’est retrouvée sur la même ligne que la Première ministre dénonçant « une alliance des extrêmes »…

Macron ne franchit peut-être pas assez le Rubicon au goût de Sarkozy, mais Le Pen y a quant à elle balancé un gros pavé qui n’a pas fini d’éclabousser.


Edito d’Erik Emptaz. Le Canard Enchainé. 26/10/2022


Une réflexion sur “Un tour de rubicon

  1. bernarddominik 30/10/2022 / 10h16

    Macron sait très bien qu’un retour aux urnes serait fatal aux députés LR les citoyens ne sachant plus s’ils sont avec Macron ou Le Pen. Donc il sait qu’ils ne voteront pas une motion de censure. Pourquoi donc faire plus de concessions et partager les prébendes? Il garde ses atouts en main au cas où sa coalition éclaterait

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