En tête avec 48,4%, Lula pourra-t-il relever le défi du front démocratique ?
Le flot continu vers les bureaux de vote tenait de la catharsis. Les couleurs que le peuple brésilien n’osait plus arborer, de peur d’être pris à partie par les partisans du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, s’affichaient, ce dimanche dans le quartier Campos Elíseos à São Paulo. Du rouge donc, des pieds à la tête. Des visages radieux et l’assurance d’une reconquête du palais présidentiel malgré l’appréhension. […]
De certaines fenêtres, le nom de Luiz Inácio Lula da Silva (Parti des Travailleurs -PT-) résonne comme pour mieux briser le silence et la peur imposée depuis quatre ans. À la sortie du bureau de vote, Lara, qui arbore une étoile du PT à la poitrine, a le cœur qui bat : « J’ai attendu des mois ce moment et tout s’est passé si vite dans l’isoloir », lâche-t-elle presque déçue. La veille déjà, au cœur de la capitale économique, Luiz Inácio Lula Da Silva était porté par une marée rouge. Comme une démonstration de force, une façon de se réconforter aussi, de se prouver que l’on n’est pas seul.
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Le Parti des Travailleurs, qui avait noué une alliance inédite avec 20 autres formations pour restaurer la démocratie, s’était pris à espérer ces dernières semaines une victoire dès le premier tour. La formation, qui va devoir travailler à un élargissement plus conséquent au centre et à droite notamment auprès de Simone Tebet (MDB, 4,2 %) et Ciro Gomes (PDT, 3,1 %), note que, pour la première fois, un président sortant n’est pas favori. « Je discuterai avec tous ceux qui sont prêts à améliorer la vie du peuple brésilien », confirme Lula.
Le système politique le contraint à des alliances parfois jugées contre-nature : « Il faut comprendre la réalité spécifique du Brésil, sa diversité régionale et politique. Lula jouera sur sa personnalité et avec la force accrue du PT. Il comptera sur son autorité personnelle pour composer avec le Congrès », souligne José Reinaldo Carvalho, responsable de la solidarité internationale du PCdoB.
La perspective d’un second tour, le 30 octobre, fait néanmoins craindre un accroissement des tensions politiques. « Ne répondez pas aux provocations », préconisait Lula durant la campagne.
Pour nombre de militants, le résultat fait toutefois office de douche froide. « Je suis triste mais nous n’avons pas le temps pour ça. Il faut s’organiser », insiste Alice, originaire du Nordeste. La photographie sortie de ce premier tour confirme un pays polarisé à l’extrême malgré le bilan désastreux de Jair Bolsonaro, la gestion catastrophique du Covid et ses 685 000 morts, le retour du pays sur la carte de la faim et les nombreux scandales de corruption dont il avait pourtant fait son cheval de bataille.
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Selon José Reinaldo Carvalho, Lula pourrait élaborer un accord qui n’amène pas « de changements radicaux dans l’orientation économique. En contrepartie, il obtiendra des concessions pour engager des réformes sociales dans le combat contre la pauvreté et mettre un coup d’arrêt au processus de destruction de l’économie nationale, aux privatisations et aux déréglementations ».
Tout indique qu’à 76 ans, Lula souhaite endosser le rôle de leader qui parviendra à réconcilier le pays et à restaurer la démocratie tout en léguant un héritage progressiste. Reste à savoir si les Brésiliens lui en donneront la possibilité.
Lina Sankari. Source (Extraits)