Mauvaise décision !

Mauvaise réforme, cette suppression de l’impôt (redevance audio) pour de fausses raisons démagogiques et surtout électoralistes. MC

Explications

Conformément àla promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui s’inscrivait dans les pas de l’extrême droite et des Républicains, les députés ont voté la fin de la redevance télé, sans le moindre débat. « Une mesure de pouvoir d’achat », paraît-il, qui ferait économiser aux ménages 138 euros par an. Et quoi à la place pour financer l’audiovisuel public ? L’affectation d’une fraction de la TVA, seulement jusqu’en 2025. Mais dont on ne connaît pas encore le montant — la redevance rapportait 3,7 milliards d’euros de ressources par an.

« C’est une décision totalement improvisée, bricolée dans l’urgence, s’agace Pascal Rogard, le puissant patron de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Personne ne demandait la suppression de la redevance, c’est de la démagogie électoraliste pure et dure. » Et qui ne soulagera pas le portefeuille des Français.

La TVA touche tout le monde, sans distinction. « Avec la redevance, il y avait des exemptions, notamment pour les plus démunis. Désormais, tout le monde va payer, même les aveugles et les sourds-muets ! » grince l’historien Jean-Noël Jeanneney, qui fut aussi pdg de Radio France (1982-1986).

Bien que brandi comme un totem par l’exécutif, l’argument du pouvoir d’achat ne tient donc pas, la seule inflation aura tôt fait de gommer un quelconque bénéfice.

Mais il y a plus grave. Malgré ses défauts (absence de progressivité, rattachement aux seuls téléviseurs, et pas à tous les écrans), la redevance était une taxe affectée à l’audiovisuel public, c’est-à-dire réservée à lui, et lui seul. Bientôt intégrée au budget de l’État, sa trajectoire budgétaire va se retrouver directement entre les mains du pouvoir en place et pourra être remise en cause chaque année, au gré des arbitrages avec les autres ministères (Santé, Éducation, Justice…) et des gels de circonstance.

« Avec la fin de la redevance, il y a un risque de sous-financement chronique et un manque de visibilité pour le service public. Et bien sûr, un risque sur son indépendance éditoriale », résume l’économiste Julia Cagé, autrice d’une étude sur le sujet pour la Fondation Jean-Jaurès. Comme nous le confiait un haut fonctionnaire de Bercy il y a quelques mois, « transférer le financement de l’audiovisuel public dans le budget de l’État crée une dépendance et le place au bon vouloir de l’exécutif; ce qui par nature entame son indépendance ». De quoi générer des inquiétudes.

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Cette réforme parachève les autres mauvais coups portés au service public depuis une quinzaine d’années.

La suppression de la pub après 20 heures en 2008, décidée par Nicolas Sarkozy, n’a été compensée par l’État que quelques années. Au début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron, qui parlait de « télé de la honte », a enclenché un plan d’économies drastique, qui a atteint 400 millions d’euros sur quatre ans à France Télévisions, et 60 millions d’euros à Radio France.

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Un mouvement européen

Il n’y a pas qu’en France qu’on s’attaque au service public et à son mode de financement. En 2018, des députés suisses d’obédience (très) libérale avaient lancé un référendum sur la suppression de la redevance dans leur pays, l’une des plus élevées d’Europe (aujourd’hui de 346 euros). Après plusieurs mois de discussions et de polémiques, le verdict des urnes a été sans appel : les citoyens ont rejeté la mesure à 71,6 %. Comme quoi, quand il y a débat…

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En Grande-Bretagne, Boris Johnson, qui vient d’être remplacé par la très thatchérienne Liz Truss à Downing Street, a pilonné la BBC pendant des années. Trop indépendante, donc gênante pour le pouvoir en place. […] Pour la punir de ses révélations sur ses fêtes clandestines durant le confinement, l’ancien Premier ministre a voulu supprimer la redevance à partir de 2027 — finalement, elle ne sera que « gelée » pendant deux ans.

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Depuis dix ans, pas moins de dix-sept pays européens ont modifié le financement de leurs médias publics. Et le plus souvent, au détriment de la redevance : soit en la remplaçant par des fonds publics dans sa totalité (Danemark, Macédoine du Nord, Roumanie) ou en partie (Chypre, Lituanie, Moldavie), soit en augmentant la publicité (Malte) ou les recettes commerciales du type sponsoring, vente de droits ou vidéo à la demande (Royaume-Uni). En Espagne, la suppression des revenus publicitaires en 2010 par le gouvernement (socialiste) de Zapatero a eu des conséquences funestes pour la télé publique. […]

Dans les pays où la redevance a été transférée vers le budget de l’État, comme cela va être le cas en France, les ressources de l’audiovisuel public ont toutes baissé, jusqu’à 17,4 % en Macédoine du Nord.

En Hongrie, où la télé publique est essentiellement financée sur le budget de l’État (82,5 %), le Premier ministre ultra-conservateur Viktor Orbàn a mis les médias publics au pas. Les salariés récalcitrants ont été licenciés, la télé publique est devenue une véritable télé d’État.

En Pologne, où le parti au pouvoir (Droit et justice, extrême droite) a transformé l’audiovisuel public en médias de propagande.

Sur vingt-sept pays membres de l’Union européenne, douze continuent de recourir à la redevance, parmi lesquels l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce, l’Italie ou encore le Portugal.

Les remèdes et pistes

[…] Comme on le voit chez certains de nos voisins européens, il existe des solutions alternatives, qui assurent à la fois la pérennité financière et l’indépendance de l’audiovisuel public.

[…]

Contrairement à l’idée reçue, la France est loin de consacrer un « pognon de dingue » à son audiovisuel public. Rapportée au nombre d’habitants, elle n’occupe que le 14ᵉ rang européen, loin derrière la Suisse, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. « Dans les grandes démocraties, on peut réfléchir et revenir en arrière quand on a pris une mauvaise décision, lance Jean-Noël Jeanneney. C’est juste une question de volonté politique.»

Chiche ?


Anne-Catherine Labbé. Télérama. N° 3794. 28/09/2022


Une réflexion sur “Mauvaise décision !

  1. bernarddominik 01/10/2022 / 12h55

    En matière de taxes Macron raisonne non pas comme président mais comme roi. La taxe d’habitation était injuste par son calcul mais parfaitement justifiée pour les finances locales, maintenant la seule marge de manœuvre des collectivités est de taxer les propriétaires. Percevoir la taxe sur les ordures ménagères avec les impôts fonciers est aberrant, qui produit des ordures, les habitants. Supprimer des taxes correspondant à des services est aberrant car ça rend les gens irresponsables. En revanche créer des taxes dont le but est financer la nébuleuse des comités et bureaux d’étude est incompréhensible (comme gemapi )

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