Ce cancer qui gagne du terrain

Au moment où ces lignes sont écrites, la nouvelle a été peu reprise.

Très peu dans ces médias qu’on appelle mainstream. Les «grands ». Sauf erreur, qu’on rectifiera, ni les grands journaux ni les télés ne se sont – encore? – intéressés à ce qui est pourtant sensationnel. Et c’est une première bizarrerie car l’étude parue le 6 septembre dernier dans une grande revue scientifique met en cause, ni plus ni moins, la sainte idéologie du progrès (1). L’affaire est complexe, mais révèle que dans le monde entier, les humains de moins de 50 ans chopent plus de cancers que c’était le cas pour les générations précédentes.

Plus précisément, ceux nés en 1960 sont davantage frappés que ceux nés en 1950, et pour des raisons explicitées, la tendance devrait se maintenir. Chaque dix années, cela s’aggrave. Ainsi, ceux d’entre nous qui sont nés en 1980 seront plus cancéreux que ceux nés en 1970. Etc. Quelle est l’explication ? Les chercheurs évoquent, car c’est un passage obligé, la multiplication des dépistages.

Mais leur hypothèse principale, c’est que l’exposome a changé de dimension. L’exposome, c’est-à-dire les expositions à des risques que subissent les organismes depuis leur conception. À quoi s’ajoutent des facteurs comme l’alimentation, le mode de vie, l’obésité, etc. En simplifiant, la situation de 2022 n’a rien à voir avec celle de 1950. L’étude, qui porte sur 14 types de cancers, insiste sur le plus jeune âge, celui de la conception, et recommande de concentrer sur lui les efforts.

Elle n’évoque pas précisément la pollution chimique, mais il n’est pas interdit de rappeler la «découverte », en 1991, des perturbateurs endocriniens, dont l’action délétère commence in utero. Et de même les formidables percées de l’épigénétique, qui démontre des effets transgénérationnels de certaines expo­sitions ou privations intervenues chez les grands-parents de malades d’aujourd’hui. Encore au-delà, et nous restons là dans le domaine de l’hypothèse et de la plausibilité, quels sont les effets de la soupe chimique intense dans laquelle on nous fait vivre depuis soixante-dix ans?


Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo. 21/09/2022


1. nature.com/articles/s41571-022-00672-8 (en anglais).


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