L’affaire PPDA

Ce n’est pas qu’une affaire « de puissance » d’une personne, c’est un fait de société machiste dont certains hommes s’entendraient être dépositaires : de quel droit ? MC

L’affaire PPDA sera-t-elle celle qui fera changer le paradigme du traitement des violences sexuelles en France ?

Cinq ans après #MeToo, des dizaines de femmes veulent forcer l’écoute. Conscientes de s’exposer, de se mettre en danger, elles témoignent depuis un an malgré les classements sans suite de leurs plaintes qui pourraient les faire taire. Elles sont prêtes à pousser les portes d’une justice qui peine à reconnaître les crimes sexuels en France, qui véhicule encore des préjugés sexistes et minimise l’ampleur des dégâts.

En 2020, seul 0,6 % des viols déclarés par des personnes majeures ont fait l’objet d’une condamnation.

« Comme journaliste, j’ai raconté pendant plus de vingt ans tous les scandales de la Ve  République sans jamais voir poindre l’ombre du nez d’un avocat », raconte Hélène Devynck dans son livre Impunité (Seuil), paru vendredi dernier. « Depuis que je parle publiquement de ma propre vie, de mon intimité, tout ce que j’écris est relu et amendé par des spécialistes aguerris du droit, y compris ce livre. »

Les violences sexuelles ont un traitement à part.

Hélène Devynck sait que prendre la plume et accuser de viol celui dont elle était assistante en 1993 à un coût. Celui de l’opprobre social qui retombe systématiquement sur les plaignantes, mais pas seulement.

« Cette parole-là, on la paie, je peux être attaquée pour ce que je dis », racontait-elle la semaine dernière dans l’émission la Grande Librairie sur France 5. Et d’ailleurs, comme 16 des 23 personnes qui ont témoigné l’an dernier dans l’enquête préliminaire sur Patrick Poivre d’Arvor, elle est poursuivie par l’ex-présentateur du JT de 20 heures de TF1 pour « dénonciation calomnieuse ».

« Patrick Poivre d’Arvor est présumé innocent. Nous aussi », répond-elle, rappelant que « le tribunal médiatique » que dénonce l’ex-journaliste ne les épargne pas non plus.

Les accusations se sont multipliées en un effet boule de neige

Cette affaire emblématique éclate il y a un an.

  • En février 2021, l’écrivaine Florence Porcel est la première femme à porter plainte contre Patrick Poivre d’Arvor. Seule, elle l’accuse de lui avoir imposé un rapport sexuel en 2004 et une fellation en 2009.
  • Rapidement, d’autres personnes réagissent en déposant des plaintes pour viol, agression ou harcèlement sexuels, créant un effet boule de neige.
  • Suivra une tribune dans le Monde.
  • Puis huit femmes à visage découvert feront la une de Libération, à l’automne 2021.
  • Au printemps 2022, par un prompt renfort, elles se virent vingt réunies sur le plateau de Médiapart.
  • Collectivement, elles assument leurs accusations et leur solidarité. Malgré les dénégations de Patrick Poivre d’Arvor, qui, par l’intermédiaire de ses avocats, continue de contester « toute violence, sexuelle ou non, à l’égard des femmes qui l’ont accusé ».
  • En juin 2021, en parallèle, l’enquête préliminaire qui avait recueilli 23 témoignages a été classée sans suite, en grande partie pour prescription des faits.
  • Mais Florence Porcel s’est obstinée.

Malgré la décision du parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) de classer l’affaire la concernant pour « insuffisance de preuves », l’autrice a porté plainte pour viol avec constitution de partie civile, afin d’obtenir la saisine d’un juge d’instruction, et faire enquêter de nouveau sur les faits reprochés. Et cette fois-ci, comme le révélait l’AFP le 29 juillet 2022, l’enquête « a changé d’approche ». Les faits prescrits vont pouvoir être étudiés.

En 2017, le délai de prescription pour un viol est passé de dix à vingt ans, mais cette loi n’est pas rétroactive.

Les faits de 2004 dénoncés par Florence Porcel sont donc prescrits, toutefois pas ceux de 2009. Or, cet été, la cour d’appel de Versailles s’est appuyée sur la jurisprudence, notamment une décision de la Cour de cassation, pour demander aux magistrats instructeurs de revenir sur la prescription et réexaminer les faits. Une sérialité des faits pourrait être invoquée et permettre de reporter la date de la prescription. Une grande première en matière de violences sexuelles.

Cette prise en compte inattendue dans l’enquête permettra-t-elle de poursuivre l’ex-présentateur vedette de 74 ans, alors qu’une nouvelle plainte a été déposée contre lui la semaine dernière ? Il faudra attendre pour le savoir. Déjà pointe l’espoir de voir enfin évoluer la considération de ces questions.

De nombreuses avocates féministes dénoncent des dysfonctionnements propres à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : le temps réduit d’audition des plaignantes, l’absence de considérée des psycho-traumas, l’état de sidération qui saisit la majorité des victimes rarement compris par la police ou la justice. L’absence de volonté politique, des moyens nécessaires pour former spécialement les magistrats, les experts, ou permettre de recueillir et analyser les preuves. Les plaintes sont étudiées séparément, peu dans leur globalité, quand il s’agit d’un même auteur désigné par plusieurs victimes. Pourquoi la justice a-t-elle autant de mal à imaginer qu’un agresseur peut l’être en série quand cela est envisagé sans mal pour d’autres crimes et délits ?

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Article réalisé d’aprés celui de Kareen Janselme. Source (extraits)


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