Darmanin, un roquet honnit.

Elle a un peu disparu des écrans radar, et on se dit que c’est injuste quand on relit cette phrase d’elle, exhumée des colonnes du « Canard » : « Dis donc, ton nouveau chihuahua, faudrait pas trop qu’il la ramène, sinon je lui mets la muselière ! » Petite devinette : à qui Nadine Morano envoyait-elle ce message rageur en septembre 2014 ?

A Nicolas Sarkozy, qui s’était entiché de Darmanin, son nouveau favori, au point d’en faire le porte-parole de sa campagne pour la présidence de l’UMP.

C’est déjà loin, tout ça, les aigreurs de Morano la sarkolâtre délaissée, mais ils sont toujours un certain nombre, à l’Elysée et au gouvernement, à avoir une forte envie de bâillonner le ministre de l’Intérieur, qui a conservé son poste avec des prérogatives élargies, puisqu’il gère désormais les outre-mer.

On l’a oublié, mais, pendant ses années Sarko, Darmanin tapait sur ses petits copains de droite, ironisait sur leur « logorrhée islamophobe » et faisait tout pour convaincre son patron que, s’il avait perdu en 2012, c’était parce que le vote musulman lui avait fait défaut en se portant sur Hollande et qu’il fallait donc le reconquérir. C’est pas la girouette qui tourne…

Littéralement happé par les réseaux sociaux et les matinales des chaînes d’info, Darmanin a eu un été survolté, de la tentative d’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen à l’annonce fort prématurée du départ d’un Algérien soupçonné à tort d’une violente agression de policiers à Lyon.

Sol en scène

Et Mayotte ? Il en fait son affaire.

La question explosive du droit du sol, même pas peur. Les JO, restez calmes, les enfants, il va les suivre « personnellement ». Les interminables files d’attente dans les préfectures pour les formalités administratives des sans-papiers ne seront plus qu’un mauvais souvenir puisque, en un an, oui, un an, elles vont disparaître. Grâce à qui, on vous le demande. Les rodéos urbains ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir, puisque « chaque commissariat va mener au moins trois opérations anti-rodéo par jour ». Si, si. Et les fameuses OQTF (obligations de quitter le territoire français) qui ne sont pas respectées ? C’est lui aussi qui s’en charge, et il avoue : « Parfois, je le fais personnellement, au cas par cas. » Les délinquants étrangers, fini de rigoler.

Pourquoi tant de dévouement ?

Il s’en explique avec simplicité et modestie : « Moi, j’essaie d’être au rendez-vous des difficultés des Français. » Il se sacrifie pour nous : « Mon rôle, c’est de dormir peu pour que les autres dorment mieux », confie-t-il au « Parisien ». Et, attention, vous n’avez encore rien vu.

L’ex-maire de Tourcoing va aussi prendre des responsabilités à Renaissance : il va s’occuper de la formation des élus et des militants. Un poste à plein temps pour un autre, un simple dossier supplémentaire pour un homme de sa trempe.

Quand le patron va-t-il siffler la fin de la récré ?

« Darmanin couvre Macron sur les questions régaliennes, où il est perçu comme faible, et il permet de contenir les ambitions de Le Maire, de Lecornu, de Borne. C’est la raison pour laquelle le Président le désavoue peu », confie un proche de l’Elysée.

Mais le mécontentement croissant des avocats, des magistrats, des défenseurs des droits de l’homme a déjà obligé Macron à un premier recadrage. « Le problème, c’est de savoir si des sujets qui portent sur des questions de fond, comme la liberté d’expression et ses éventuelles limites, l’expulsion d’étrangers ou le droit du sol, doivent être traités façon cow-boy sur Twitter ou dans les matinales des chaînes d’info. La réponse est non. Darmanin doit travailler avec Dupond-Moretti, sous la houlette de Matignon, et c’est à Macron de faire les arbitrages. C’est ce qui va se passer pour la future loi sur l’immigration. Macron lui a fait passer le message : tu es gentil, tu te calmes, on va examiner ça tranquillement, okay ?» confie un macroniste de gauche.

Vert solitaire

« Sa façon de saturer l’espace médiatique ne lui a pas rapporté grand-chose. Il a une cote de popularité médiocre, pas de troupes, et une histoire personnelle qu’il vend à chaque occasion — son passé d’élu d’une ville difficile, ses origines modestes, ses plaisirs simples, comme aller au supermarché ou faire des barbecues en chantant avec ses copains —, mais tout cela n’imprime guère », affirme un sondeur.

Son pote Julien Aubert, ex-député LR, l’avait déjà mis en garde contre son trop-plein de roublardise : « Il est tellement malin qu’on finit par se méfier de lui. On se dit : « Ce type-là, il va m’enfumer. » »

Darmanin continue pourtant sa course en solitaire. Il va recruter des « gendarmes verts », qui verbaliseront les atteintes à l’environnement. Il se mêle donc désormais d’écologie et brasse déjà plus d’air qu’un champ d’éoliennes.


Anne-Sophie Mercier. Le canard Enchainé. 24/08/2022