« Il y aura un enseignant devant chaque classe dans toutes les écoles de France », a promis dès juin Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation.
Or, de l’aveu même du ministère, il manquait quatre mille postes de professeurs dans le premier et le second degré à l’issue des concours de recrutement.
L’Éducation nationale s’est depuis lancée dans une course contre-la-montre : les entretiens exprès organisés avant l’été pour embaucher dans l’urgence des contractuels ont créé la polémique, d’autant que les recrues n’auront bénéficié que de quatre jours de formation avant la rentrée.
Tiendront-elles bon dans ces conditions et, soulignent les syndicats, ne manqueront-elles pas dans les équipes de remplacement indispensables pour garantir toute l’année la continuité pédagogique qui fait défaut dans certaines académies?
Une chose est certaine, ce colmatage ne suffira pas face à la réalité d’un système éducatif qui ne parvient plus depuis longtemps à lutter contre les inégalités sociales. Nommé pour retrouver le chemin du dialogue avec le corps enseignant après les années Blanquer, Pap Ndiaye sait qu’il doit créer « un choc d’attractivité » au sein d’une profession qui souffre de bien des maux: crise des vocations, déconsidération, pertes de sens et de pouvoir d’achat.
La réponse passe donc aussi par une revalorisation des rémunérations.
Pas de salaire de débutant inférieur à 2 000 euros nets par mois, s’est engagé le gouvernement. Mais cette hausse (outre qu’elle ne garantit rien pour l’ensemble de la grille salariale) n’interviendra qu’à la rentrée 2023. En attendant, dès ce jeudi, douze millions d’élèves (fragilisés par deux années de pandémie, frappés pour certains d’une anxiété nouvelle) s’apprêtent à retrouver leur classe
Valérie Hurier. Télérama N°3790 du 31/08/2022
Autres visions :
Rentrée scolaire : « 1 600 enfants dormaient dehors » cet été, faute de solution d’hébergement, selon la FCPE
Plusieurs associations lancent un réseau national pour mieux repérer et reloger ces familles sans hébergement.
En France, « cet été, il y avait 1 600 enfants » scolarisés « qui dormaient dehors » annonce sur franceinfo mardi 30 août, Carla Dugault, la présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Ces enfants et leurs parents n’ont pas trouvé de solution d’hébergement après un appel au 115, selon le dernier recensement de plusieurs associations, dont la FCPE. Carla Dugault indique même qu’« ils sont plus de 50 000 enfants à la rue », à vivre sans hébergement pérenne, soit dans des hôtels sociaux ou des bidonvilles.
Emmenées par le collectif lyonnais « Jamais sans toit », plusieurs associations lancent le 30 août un réseau national avec la FCPE, pour mieux repérer et reloger durablement ces familles. Selon Carla Dugault, « l’idée avec le collectif des associations unies est de lancer un réseau d’aide aux élèves pour effectivement interpeller aussi les pouvoirs publics. Aujourd’hui, les parents que nous sommes constatons sur le terrain régulièrement des enfants qui ont des difficultés à avoir un toit, et ça a un impact aussi très fort sur leur scolarité ».
« Souvent, ce sont des mamans seules avec leurs enfants »
Alors, comment expliquer cette forte augmentation ? « Ces chiffres-là proviennent du 115 », explique la présidente de la FCPE. « Donc c’est sûrement en réalité beaucoup plus puisque ce sont les personnes qui ont appelé et qui ont décroché le téléphone ». D’après elle, « on voit bien que le parc de logements est saturé. Aujourd’hui, beaucoup de logements sont inaccessibles. Beaucoup sont trop cher selon certaines zones, selon différents territoires à l’échelle nationale ». Après, ajoute Carla Dugault, « vous avez aujourd’hui un contexte économique, un contexte social très compliqué où il y a de plus en plus de familles impactées finalement par ce qui se passe au sein de la société française ».
Les profils de ces familles sont souvent les mêmes d’après la présidente de la FCPE : « Souvent, ce sont des mamans seules avec leurs enfants ». Elle affirme que, face à ce constat, « les parents ont envie davantage d’agir avec les acteurs qui vont bien », comme les associations, le collectif d’associations unies ou « Jamais sans toit ». Et de conclure, « le système éducatif a besoin avant tout de bien-être et d’épanouissement pour les élèves et pas autre chose. Donc, on en est là, il faut accompagner tout cela et c’est primordial. En fait, la question de la pauvreté aujourd’hui est fortement présente au sein de l’ensemble des établissements scolaires ».
Source : France Info Radio France https://www.francetvinfo.fr/economie/immobilier/immobilier-indigne/info-franceinfo-rentree-scolaire-1600-enfants-dormaient-dehors-cet-ete-faute-de-solution-d-hebergement-selon-la-fcpe_5333194.html#xtor=EPR-502-[newslettervideo]-20220831-[video2]
Rentrée scolaire : les raisons d’un fiasco annoncé
Emmanuel Macron l’a décrété : c’est « la fin de l’abondance ». On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Dans les écoles et établissements scolaires, c’est sous le signe de la pénurie d’enseignants que 12 millions d’élèves et 1,2 million de personnels de l’éducation nationale font aujourd’hui leur rentrée. Une pénurie qui résulte des décisions du gouvernement lui-même et constitue un signe, le plus visible et le plus inquiétant, d’un système scolaire qui se trouve désormais, comme l’hôpital ou la justice, en état d’urgence.
4 000 postes non pourvus
On le sait depuis les résultats des concours de recrutement 2022 : plus de 4 000 postes d’enseignants (sur 27 300 prévus) n’ont pas été pourvus. C’est, explique-t-on au ministère, le résultat de la « mastérisation » désormais complète du recrutement : les futurs enseignants passent à présent le concours après leur deuxième année de master, et non plus au terme de la première année. Un simple décalage d’un an dans les recrutements, tout devrait ensuite rentrer dans l’ordre, assure-t-on rue de Grenelle.
En attendant, Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, s’est engagé à ce qu’il y ait bien « un enseignant devant chaque classe » en cette rentrée 2022. La solution : des contractuels.
Petites annonces, séances de recrutement express et organisation précipitée de séances de formation pour les heureux élus : les rectorats ont déployé tout l’été une activité frénétique pour tenir à tout prix la promesse du ministre.
Tout au plus s’agit-il de « rassurer comme on peut les familles en mettant des adultes dans les classes. » Le Snesup-FSU
Résultat : celui-ci pourra sans doute très vite annoncer que le pari a été à peu près tenu. Mais il se pourrait aussi que la réalité, celle que les élèves, leur famille et les personnels vont recevoir en pleine face, le rattrape.
Exemple : l’académie de Créteil, où il manquait déjà près de 1 000 postes dans le premier degré à l’issue du concours. Un concours supplémentaire devait permettre de recruter 500 enseignants… mais à peine plus de 200 l’ont été. « Dans une académie qui n’arrive déjà pas à remplacer les enseignants absents, commente le syndicat Snuipp-FSU, on peut difficilement croire que (…) toutes les classes auront un professeur « formé » à la rentrée. »
329 000 enseignants à embaucher d’ici à 2030
Le Snesup-FSU, syndicat du supérieur où se retrouvent une partie des formateurs des futurs professeurs, résume : « La meilleure volonté au monde et quelques heures de formation express ne sauraient permettre à quiconque d’assurer un enseignement digne de ce nom. Tout au plus s’agit-il de rassurer comme on peut les familles en mettant des adultes dans les classes. » L’inquiétude porte aussi sur le fait que nombre de ces « néo-enseignants », découvrant le métier sans y avoir été préparés, risquent de repartir (presque) aussi vite qu’ils sont arrivés…
Affichage et bricolage seraient donc les deux mamelles de la première rentrée de Pap Ndiaye. « Va-t-on recruter, durablement et sur concours, des professeurs bien formés ? » insiste Sophie Vénétitay, cosecrétaire générale du Snes-FSU (second degré). L’enjeu n’est pas mince puisque, comme l’a rappelé en juin une étude de France Stratégie, pour simplement compenser les départs en retraite, il va falloir embaucher 329 000 enseignants d’ici à 2030 – autrement dit, demain.
« Ce n’est pas en passant des annonces sur LeBonCoin qu’on va y arriver ! » brocarde la syndicaliste. Ni même en organisant un concours exceptionnel pour les contractuels, annoncé par le ministre – et circonscrit, en outre, au seul premier degré.
Plus aucun professeur à moins de 2 000 euros ?
Le fait est que, sous le ministère Blanquer, tant le recours aux contractuels que le nombre de postes laissés vacants à la rentrée (+ 25 % entre 2018 et 2021, et 7 900 suppressions de postes en cinq ans) n’ont cessé de s’accroître. La situation en cette rentrée aurait donc pu, et dû, être anticipée. Elle ne l’a pas été.
Difficile de ne pas y voir la traduction d’une volonté politique, inavouée mais déjà observée et mise en œuvre dans nombre de grands services publics : recourir de moins en moins à des embauches de personnels formés et sous statut et de plus en plus à des personnels précarisés, déqualifiés.
C’est donc le problème global de « l’attractivité » des métiers de l’éducation nationale qui doit être posé. Un problème qui trouve sa source dans la double dévalorisation, financière et sociale, dont ils sont l’objet.
Sur le plan financier, la hausse de 3,5 % du point d’indice depuis cet été, après dix années de gel, constitue une première victoire. Mais elle ne compense même pas l’inflation, attendue bien au-dessus de 5 % cette année.
Des promesses – floues – ont été faites, tant par le ministre que par Emmanuel Macron lui-même : une hausse de 10 % pour tous, mais sans aucun calendrier ; et plus aucun professeur à moins de 2 000 euros mensuels en début de carrière. Un niveau de rémunération qui n’est atteint aujourd’hui qu’après plus de dix années de carrière, ce qui pose la question de la revalorisation de tous pour que les enseignants français cessent d’être parmi les plus mal payés en Europe.
Olivier Chartrain. L’humanité. Source : https://www.humanite.fr/societe/rentree-scolaire/rentree-scolaire-les-raisons-d-un-fiasco-annonce-762010