… pourtant Bernard use des mêmes procédés, les mêmes bancs…

C’est bien joli de révéler sur le compte Instagram « laviondebernard » que le jet du patron de LVMH a balancé 176 tonnes de CO2 rien qu’en mai 2022 et que son super-yacht, « Symphony », en émet 16 000 tonnes par an. Et si, désespéré face à tant d’ingratitude, le grand homme allait s’installer ailleurs ? On aurait l’air malin. Il a déjà failli partir en Belgique il y a quelques années, écoeuré par tous ceux qui jalousent son succès. C’est bien connu, les Français sont jaloux, c’est ce que Bernard appelle l’esprit « socialo-marxiste anti-réussite », qui, assure-t-il, prédomine dans notre pays. Un sénateur qui l’a longuement observé en janvier lors d’une audition pour la commission d’enquête sur la concentration des médias — LVMH possède « Les Echos », « Investir », « Le Parisien », Radio Classique, « Connaissance des arts », et va mettre la patte sur « Challenges » — évoque en rigolant « un patron d’une autre époque, un grand bourgeois qui nous faisait l’honneur de venir, et qui s’offusquait de la moindre question, se présentant sans cesse comme un sauveur de la presse, un bon Samaritain ».
Quand il présente en 2020 son groupe sur BFMTV, juste après l’obtention de son titre de « manager de la décennie » (si, si), il explique que LVMH est une grande famille, un groupe « durable », et qu’il vend « des produits qui ont du sens, et le sens on l’apporte en accordant de l’importance à tout ce qui concerne la Terre ». On ne va pas aller chercher des noises pour un petit avion à un homme qui se préoccupe de la planète, qui assure « être très attentif à l’éthique », et le prouve : « Nous avons une charte. » Puisqu’on vous dit qu’on ne le mérite pas.
La deuxième fortune mondiale (150 milliards d’euros) et première fortune européenne s’intéresse de près à la presse et à l’opinion. A l’entendre, c’est pour rendre service à ces pauvres journaux jamais très loin du dépôt de bilan qu’il sort le carnet de chèques. Il aurait bien ajouté le « JDD » à son groupe de presse quand il a volé au secours de son ami Lagardère, mais Bolloré l’a devancé.
Devant la commission d’enquête sénatoriale, il a proféré un joli petit mensonge, niant avoir formulé la moindre offre. « Sans doute conseillé par ses avocats, qui lui ont expliqué ce qu’il pouvait en coûter de mentir devant des parlementaires, il a envoyé un rectificatif deux heures plus tard », se souvient un sénateur. Tout le monde peut avoir un petit trou de mémoire.
En juillet, Bernard-l’ami-des-médias, qui avait fait espionner en 2013 le journal « Fakir », fondé par François Ruffin — aujourd’hui député Insoumis – quand il tournait un documentaire sur un ouvrier du groupe licencié après la délocalisation de son usine, a discrètement mis la main sur l’institut de sondages OpinionWay. « Cette acquisition n’a aucun intérêt par rapport à son groupe. Il n’y a aucune synergie avec le luxe, et c’est une activité bien moins rentable. S’il achète OpinionWay, c’est tout simplement parce que c’est pour lui un vecteur supplémentaire d’influence », assène un expert du secteur du luxe. « Racheter un institut de sondages, c’est augmenter son poids politique : on décide des sujets qu’on aborde, ou pas, des questions qu’on pose, ou pas, et comment on les pose. Ce rachat pose pas mal de problèmes, car Arnault, comme Bolloré, est interventionniste », s’alarme un sondeur.
Il est vrai que Bernard ne fait pas mystère de ses opinions : à droite toute. Radio Classique n’a invité aucun politique pendant la campagne présidentielle, pour ne pas avoir à faire venir Mélenchon. Il a soutenu Bertrand, puis Pécresse, en restant en meilleurs termes avec Macron. De toute façon, les politiques, ça passe. Il est loin le temps (1988) où Alain Madelin s’égosillait de rage en accusant le jeune Arnault d’avoir roulé l’Etat dans la farine lors du rachat du groupe Boussac. Il rigole sous cape, Bernard : Alain qui ? Après Macron, un autre politique lui mangera dans la main.
Depuis deux semaines, on apprenait que le holding Agache, propriétaire du premier groupe mondial de luxe, allait devenir une société en commandite par actions. Bref, Arnault renforce le contrôle de ses héritiers sur l’empire. Et, ça, on peut lui faire confiance, c’est du durable.
Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé. 10/08/2022
Assurer l’indépendance des médias devrait être l’objectif de tout gouvernement républicain.
Mais sommes-nous vraiment en république ?
Les Français ont voté et les élus au pouvoir s’empressent d’oublier leurs promesses.