De l’utilité des catastrophes

Une des façons de stimuler l’engagement

Chez les écolos, on a toujours distingué deux camps, ceux qui croient à la pédagogie des catastrophes, et les autres.

  • Les premiers disent ceci : puisque l’accumulation des preuves sur la gravité de la crise globale en cours, l’effondrement du vivant, le réchauffement climatique, la crise énergétique n’ont visiblement réussi à infléchir ni les politiques ni les comportements, il nous faut compter sur la catastrophe.

L’économiste Serge Latouche en est un partisan enthousiaste. Seules les catastrophes, dit-il, ouvrent les yeux, déclenchent des prises de conscience, des remises en question, des refus, voire des révoltes : « Je demeure convaincu que l’inquiétante canicule de 2003 a fait beaucoup plus que tous nos arguments pour convaincre de la nécessité de s’orienter vers une société de décroissance et populariser ce thème » (1). Même si, reconnaît-il, cette même canicule en a poussé beaucoup à s’équiper en climatiseurs, des engins aux impacts désastreux.

Mais, fait-il remarquer, la mort de 4 000 Londoniens en décembre 1952 a entraîné le vote du Clean Air Act. Et la crise de la vache folle un coup de frein sur le productivisme agricole délirant.

  • L’autre camp, celui des incrédules, fait remarquer que nombre de catastrophes n’ont rien changé à rien.

Ainsi, Tchernobyl puis Fukushima n’ont guère ému les nucléocrates. Macron ne vient-il pas d’annoncer la construction de 14 réacteurs EPR ?

Les incrédules aiment citer « la stratégie du choc» de Naomi Klein, qui montre que les catastrophes sont au contraire l’occasion rêvée pour l’oligarchie d’imposer des réformes ultra-libérales.

Ainsi, l’ouragan Katrina a été l’occasion de chasser les pauvres des villes et de remplacer les écoles publiques par des établissements privés, etc. Il faudrait donc redoubler de vigilance.

Nous affrontons aujourd’hui deux catastrophes, la canicule et la guerre en Ukraine.

  • La canicule ?

A La Teste-de-Buch, Macron promet un « grand chantier national » pour « replanter cette forêt ». C’est bien le minimum.

Mais encore ? Les émissions de CO2 qu’il faut réduire de moitié d’ici huit ans ? Il s’accroche à sa feuille de route : « On a un cap, on va le tenir et l’exécuter. »

Pas un mot sur l’efficacité énergétique, la décarbonation, l’économie circulaire. Et le retard pris par la France ? « Pourquoi on ne va pas assez vite ? Je vais vous le dire. Parce qu’on a trop de règles. » Tiens donc : il faudrait déréguler…

Autre cata : ce gaz dont Poutine va nous priver.

En réaction, l’Europe appelle à la sobriété. Il va falloir baisser de 15 % notre consommation de gaz. Du jamais-vu, certes. Que Macron traduit ainsi : il va falloir « faire attention collectivement, le soir, aux éclairages qui sont inutiles ».

Quel volontarisme ! Par ailleurs, il vient de décider d’installer un terminal méthanier flottant dans le port du Havre, afin d’importer du gaz de schiste américain (particulièrement nocif). Et, devinez quoi : comme le temps presse, il faudra déroger au Code de l’environnement.

Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas.


Jean-Luc Porquet. Le Canard Enchainé. 27/07/2022


(1) « Le Pari de la décroissance », Pluriel (nouvelle édition juin 2022), 416 p., 11 €.