L’autre risque de guerre en Europe
Vingt-sept ans quasiment jour pour jour après le massacre de Srebrenica et les quelque 8000 hommes et adolescents bosniaques musulmans assassinés par les forces serbes de Bosnie, le ciel s’assombrit au-dessus de cette petite république fédérale de 3,5 millions d’habitants. Alors qu’elle tente depuis la fin des combats de maintenir un fragile équilibre entre ses communautés, la guerre en Ukraine pourrait bien la faire basculer à nouveau dans les ténèbres.
Pendant tout le siège de Marioupol, mes parents sont restés scotchés devant la télé », raconte Bakir, jeune habitant de Sarajevo de 24 ans. Ma mère pleurait. Pour eux, c’était comme revivre ce qu’ils ont vécu ici, pendant trois ans. Depuis le début de la guerre en Ukraine, ils ne sont plus les mêmes. Comme un stress post-traumatique. Aussi longtemps après, tout ressort. » Bakir, lui, est né quelques années après les combats. Mais sa famille, qui les a vécus, sent venir «un mauvais vent inéluctable », explique-t-il.
Il faut dire que tout est fait pour que la Bosnie-Herzégovine devienne la prochaine poudrière. Dans ce petit pays de 51 000 km2 (plus petit que la Région Grand-Est, par exemple) doivent cohabiter trois communautés qui se sont entre-tuées il y a moins de trois décennies : les Bosniaques, de culture musulmane (51 % de la population) ; les Serbes, majoritairement orthodoxes (31 %); et les Croates, traditionnellement catholiques (15 %). Sauf que « cohabiter » n’est pas vraiment le bon terme…
En réalité, cette république fédérale est séparée en deux entités : la République serbe de Bosnie (ou Republika Srpska) et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (anciennement Fédération croato-musulmane). Certes, des Croates ou des Bosniaques vivent en République serbe, et inversement, mais ils sont extrêmement minoritaires, et tout est organisé communautairement.
Dans la Fédération, les élèves bosniaques et croates ne fréquentent pas les mêmes classes, par exemple. Ils peuvent être scolarisés dans un bâtiment unique selon le principe «deux écoles sous un même toit », mais ils n’ont pas les mêmes enseignants, pas les mêmes programmes scolaires, ils ont souvent des halls d’entrée et des bus scolaires différents, voire des toilettes séparées…
Idéal pour maintenir la paix et la cohésion d’un territoire, en particulier dans un pays où il y a tellement d’armes en circulation que, à l’entrée même du Parlement, des casiers ont été mis en place pour que les élus et les visiteurs puissent y déposer leurs calibres…
Presque logiquement, ces différentes communautés ont désigné à leur tête des représentants ethno-nationalistes qui exacerbent les haines pour rester au pouvoir. « Les trois partis nationalistes jouent sur les peurs pour susciter des tensions et gagner les élections, qu’ils manipulent, regrette Igor Davidovic, un ancien diplomate qui a renoncé à ses fonctions. Pourtant, la population est prête à une vie commune, bien plus que ne le dit et le souhaite l’élite politique. »
Une élite politique soutenue (manipulée ?) par des forces extérieures. Quand le dirigeant serbe Milorad Dodik a annoncé, il y a quelques mois, qu’il lançait un processus de sécession de la Republika Srpska, la Serbie et la Russie, ses proches alliées, ont applaudi des deux mains. Et quand le Croate Dragan Covic a exigé un changement de la loi électorale avant le scrutin de l’automne prochain pour garantir un vote ethnique, c’est la Croatie qui a approuvé… « À chaque fois qu’il y a un conflit entre grandes puissances, il y a des remous ici, explique le jeune Bakir. Chaque communauté est tiraillée par ses alliances et ses protecteurs. On craint tous qu’un jour le remous ne soit un peu plus fort que les autres et ne déstabilise tout. Et qu’on replonge dans l’horreur. »
Ava Roussel. Charlie Hebdo. 20/07/2022
En promettant à la Croatie et la Slovénie l’accès à l’UE les Allemands ont renoué avec la politique anti Versailles et ont entraîné la destruction de la Yougoslavie, leur soutien aux Albanais du Kosovo et l’appui des USA voulant affaiblir une Serbie, trop russophile, a prolongé cette destruction, isolant la Serbie qui, ancienne alliée de la France, est devenue le fer de lance de la Russie en Europe de l’Ouest.
La Russie ne lâchera pas son alliée, et la France assistera impuissante à la continuation de la domination allemande sur l’Europe de l’Est et les Balkans.