Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?

d’une extrême droite enfin respectable

C’est la chienlit.

Tous les politologues, analystes et éditorialistes politiques sont formels : la France est désormais ingouvernable. Les mêmes qui, pendant cinq ans, se sont désolés de la «verticalité» d’un pouvoir présidentiel qui, fort d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, n’en faisait qu’à sa tête et se foutait bien du débat parlementaire, se désolent aujourd’hui qu’Emmanuel Macron soit contraint de discuter avec ses oppositions, à la recherche d’un compromis pour faire adopter ses « réformes indispensables ».

De la même manière, alors qu’ils déploraient que, faute d’une dose de proportionnelle, la représentation parlementaire ne reflète pas la réalité politique du pays, les voilà aujourd’hui inquiets (à juste titre) de voir s’installer 89 députés Rassemblement national dans l’hémicycle, confirmant que l’extrême droite est bien le deuxième parti du pays, derrière le fourre-tout macronien.

Bref, ce qu’ils réclamaient hier pour « faire vivre la démocratie » [son interprétation de la démocratie] devient un problème aujourd’hui. Il faudrait savoir…

Pourtant, le président de la République ne semble pas plus affolé que ça. Concernant la « gouvernance » de la France, il n’a sans doute pas tort. Il dispose d’une majorité certes relative, mais qui demeure un socle confortable. Avec ses alliés MoDem et Horizons, la Macronie compte 245 députés, peut-être moins « godillots » que lors de la précédente législature, mais qui n’ont aucun intérêt au blocage.

Même pour Édouard Philippe, il est un peu tôt pour jouer la carte de la dissidence en vue de 2027. Ne manque donc à Macron que 44 députés. Qu’il ira selon toute vraisemblance chercher dans le vivier LR-UDI-Divers droite-Divers centre : 78 députés, c’est largement plus qu’il ne lui en faut pour faire adopter, par exemple, sa réforme des retraites.

Ce qui risque surtout de changer avec cette nouvelle Assemblée, c’est que Macron gouvernera encore plus à droite. Car c’est là et nulle part ailleurs, qu’il trouvera les supplétifs qui lui manquent.

Reste le Rassemblement national, dont l’arrivée en masse au Palais-Bourbon ne semble pas préoccuper davantage le chef de l’État […].

Après une campagne pour les législatives où le danger potentiel représenté par le parti de Marine Le Pen a été superbement ignoré, Macron et Mélenchon ayant choisi de se désigner mutuellement comme épouvantail à électeurs, voilà le RN installé pour de bon dans la normalité et la respectabilité.

Marine Le Pen a d’ailleurs annoncé qu’elle mènera une opposition « responsable », votant « tout ce qui va dans le sens de l’intérêt de la France et des Français ». Preuve que l’appel du pied de François Bayrou, le 21 juin sur France Inter, n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde : « Il y a des personnes à droite, à gauche, au centre, aux extrêmes. […] Nous avons à inventer l’harmonie pour que toutes ces sensibilités entrent dans la symphonie qu’est la démocratie ». Dans tout orchestre symphonique, il faut une grosse caisse et le RN fera ça très bien.

Le vrai problème, pour ne pas dire le drame, de ces législatives, ce n’est pas la supposée « in-gouvernabilité » de la France, mais bien cette nouvelle étape, décisive, dans l’histoire d’un parti d’extrême droite raciste et xénophobe devenu une offre politique comme une autre.

Sur le terrain électoral, mais également dans le jeu politicien. Dans la législature qui vient, il faudra veiller à ne pas se laisser distraire par les esclandres et les coups d’éclat que mettront en scène les uns et les autres, à gauche et à droite, pour exister dans la centrifugeuse médiatique.

Mieux vaudra se concentrer sur le sillon que continuera à creuser Marine Le Pen, dans la peau de Mme Tout-le-Monde. Car la prochaine étape pour le RN, ce sera en 2027. Et cette fois, cela pourrait bien être, si l’on peut dire, la bonne…


Gérard Biard. Charlie Hebdo. 29/06/2022


2 réflexions sur “Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?

  1. bernarddominik 05/07/2022 / 15h39

    Comme en Autriche avec le FPO, le RN veut devenir un parti de gouvernement, ça signifie pomper des voix aux LR, mais également à gauche.
    Pour ma part, ce n’est pas une mauvaise nouvelle, mais l’extension de LR vers le nationalisme strict.
    C’est la démocratie qui gagne, même s’il n’y a pas lieu d’en être fier.

    • Libres jugements 05/07/2022 / 15h59

      Je ne comprends pas le raisonnement… la marche de pensées, de la seconde phrase.
      Que le RN soit représenté à l’assemblée est normal et c’est parfaitement démocratique étant donné le nombre de suffrages qu’il recueille. L’injustice était avant, le FN-RN écarté grâce aux tripatouillages des découpages de circonscriptions… la main mise par UMP-LR et un chef de file cadenassant tous débords; J. Chirac.
      Celles ou ceux qui regretteraient l’importance représentative de ce groupe et qu’elles-ils refuseraient cette prétention à gouverner, avaient soient le devoir d’aller voter, soient incité à le faire autour d’elles-eux.
      Michel

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