Finlande et Suède brisent l’idéal nordique
En attaquant l’Ukraine pour l’empêcher de rejoindre un jour l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), […] Poutine […] précipite la Suède et la Finlande vers l’Alliance atlantique. […]
[…].
Dans les années 1990, les liens étroits et secrets noués entre la Suède et l’OTAN durant la guerre froide furent révélés. Bien que toujours aux avant-postes, Stockholm s’écartait irrémédiablement du modèle nordique. Une fois encore, la Finlande prit exemple sur la Suède en demandant son adhésion à l’Union européenne en 1992, un choix approuvé par référendum deux ans plus tard. Le gouvernement norvégien fit de même, mais perdit le référendum qui devait avaliser sa décision en 1994. Finlande et Suède devinrent membres de l’Union en 1995.
C’est à cette époque que leur identité fut redéfinie comme européenne et occidentale, par opposition au caractère nordique et neutre dont elles se prévalaient par le passé, même si ces deux appartenances coexistaient — et peut-être coexistent encore. Durant cette même période surgirent les premiers débats concernant leur possible adhésion à l’OTAN. Depuis 1994, la Finlande et la Suède participent au « partenariat pour la paix » de l’Alliance atlantique.
Les forces armées finlandaises mirent un soin particulier à s’ajuster aux systèmes militaires de l’OTAN, dans une logique qui les a conduites récemment à acheter soixante-quatre avions de combat américains F-35, compatibles avec le port d’armes nucléaires.
Tout au long des années 2000 et 2010, la Finlande et la Suède se sont associées à des opérations de « maintien de la paix » de l’OTAN et ont conclu avec cette dernière des accords permettant un soutien logistique aux forces alliées stationnées ou en transit sur leur territoire.
Les réponses à l’invasion russe de l’Ukraine découlent en grande partie de ces changements graduels, que ce soit en termes d’acceptation sociale, de représentation médiatique et de rhétorique politique, qui ont préparé le terrain à un glissement vers la droite de l’ensemble du spectre politique. En ce sens, la guerre en Ukraine et son impact sur les opinions publiques européennes n’ont fait que précipiter le passage à la dernière étape d’un parcours d’intégration déjà entamé depuis longtemps.
L’adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède sera lourde de conséquences pour les deux pays eux-mêmes, mais également pour les relations internationales en Europe et dans le monde. Elle sonnera le glas de l’internationalisme progressiste nordique, du moins pour l’instant.
[…]
Alors que, durant la guerre froide, les pays nordiques formaient une communauté sécuritaire pluraliste, prônant la solidarité et l’intérêt commun dans les relations extérieures, l’étape actuelle de l’adhésion à l’OTAN s’accompagne d’une militarisation de la société et d’un nouveau système de croyances, qui attribue à la force des armes la capacité de prévenir les guerres.
L’élargissement de l’Alliance atlantique se fonde sur la théorie de la dissuasion (y compris nucléaire), fondée elle-même sur le présupposé abstrait que les acteurs en présence seraient mus par leur rationalité.
La notion de bien commun a sombré dans ces débats, ou ne subsiste plus que dans l’espoir d’une stabilité acquise par la dissuasion, le principe qui consiste à inspirer la peur chez celui que l’on craint. Son expression ultime réside dans l’équilibre de la terreur. À rebours de la neutralité sous la guerre froide, comprise, du moins à certains moments, comme une manière de déjouer le conflit planétaire qui menaçait l’humanité, la stratégie en vigueur aujourd’hui s’insère dans la perspective étroite de la destruction mutuellement assurée. De surcroît, la peur inspirée par la Russie alimente la vision simpliste d’un face-à-face entre « empire du mal » et « héros de la liberté ».
[…]
La décision de ces deux pays fait craindre non seulement une escalade du conflit entre Occident et Russie, mais encore un renforcement de la dépendance de l’Union européenne à l’égard de Washington. Elle accentue le processus de division du monde en deux camps opposés et de militarisation accrue des rapports d’interdépendance.
[…]
Ces évolutions rappellent les processus qui ont conduit à la première guerre mondiale. À ce stade, le scénario d’une catastrophe militaire globale ne peut plus être écarté (4). Même s’il ne se vérifie pas à brève échéance, pareils événements s’inscrivent dans une tendance de fond dont on risque d’observer les effets dans dix ou vingt ans — à moins que la marche du monde soit déviée de sa course, grâce, par exemple, à l’émergence d’un nouveau mouvement des non-alignés. Avec leur demande d’adhésion à l’OTAN, la Finlande et la Suède se positionnent sur le mauvais versant de l’histoire.
Heikki Patomäki (*). Le Monde Diplomatique. Source (Extraits)
(*) Professeur de relations internationales et d’économie politique mondiale à l’université d’Helsinki.
- Cf. Urho Kekkonen, Neutrality. The Finnish Position, Heinemann, Londres, 1970.
- Cf. « Beyond Nordic nostalgia : Envisaging a social/democratic system of global governance », Cooperation and Conflict, n° 35 (2), Londres, 2000.
- Cf. Magnus Ryner, Capitalist Restructuring, Globalisation and the Third Way. Lessons From the Swedish Model, Routledge, Abingdon (Royaume-Uni) / New York, 2002.
- Cf. The Political Economy of Global Security : War, Future Crises and Changes in Global Governance, Routledge, 2008.
2 réflexions sur “De la neutralité à l’embarquement dans l’OTAN !”