Yémen : nos marchands de canons dans le viseur

Cette guerre d’on personne ne parle

La justice va-t-elle chercher des crosses à nos meilleurs marchands de canons ?

Le 2 juin, trois associations — le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme, Sherpa et le yéménite Mwa­tana for Human Rights — ont déposé une plainte devant le tribunal judiciaire de Paris, avec le soutien d’Amnesty International.

Dans leur ligne de mire ? Trois fleurons de l’industrie militaire hexagonale, épinglés pour leur possible complicité — via la livraison de ma­tériel — dans les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis au Yémen. Ces en­treprises sont fort connues : il s’agit de Dassault (avions de combat), Thales (systèmes de guidage Damoclès et Thalios) et MDBA France (missiles Storm Shadow et Scalp).

Leurs joujoux sont appelés à étoffer les arse-

naux de deux clients privilégiés, l’Arabie saoudite et les Emirats

arabes unis. Ces Etats dirigent une coalition qui, aux côtés des forces gouvernementales, com- bat depuis mars 2015 les rebelles chiites houthis (soutenus par l’Iran) à coups de raids aériens aveugles. Bilan : près de 400 000 morts — civils, pour la plupart, et victimes en premier lieu de la famine et des épidémies —, des millions de déplacés, sans compter les logements, écoles et hôpitaux anéantis. En résumé, « la plus grande catastrophe humani­taire actuelle », selon l’ONU.

Certes, une trêve a été renouvelée début juin pour un délai de deux mois. Mais, pendant l’ac­calmie, d’ailleurs précaire, le commerce d’ex­portation d’armes (permis par des autorisations gouvernementales) se poursuit. « En Ukraine, note Rachid al-Faqih (Mwatana), un mécanisme d’enquête sur les exactions de l’armée russe a été mis en oeuvre immédiatement. Chez nous, rien. Nos victimes mériteraient-elles moins de compassion ? Il y pourtant plus d’un Poutine au Yémen. »

Malgré les efforts d’une poignée de députés sortants — dont Jacques Maire (LRM) et Michèle Tabarot (LR) — réclamant l’instauration d’un contrôle parlementaire sur les ventes d’armes, Paris, fidèle à sa tradition d’opacité, brandit, tel un automate, le sacro-saint « secret-défense ». Un peu court…

Dès le 29 août 2018, et dans une douzaine d’articles ultérieurs, « Le Canard » avait révélé la réalité d’une « cobelligérance française » appuyée par des Mirage 2000, des chars Leclerc, des navires (corvettes) et des canons vendus aux pays de la coalition. En avril 2019,le site Disclose dévoilait la teneur d’une note de la Direction du renseignement militaire, datée de l’automne pré­cédent, confirmant l’usage de ces armements sur le théâtre yéménite.

Voilà pourquoi les plaignants invoquent le précédent Lafarge. Le 18 mai, la cour d’appel de Paris a confirmé la mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité et financement d’une entreprise terroriste du cimentier, soupçonné d’avoir versé, via sa filiale syrienne, des millions d’euros à l’Etat islamique en échange de la poursuite des activités de son usine de Jalabiya.

Pour que le chef de complicité soit retenu, avait statué en septembre 2021 la chambre cri­minelle de la Cour de cassation, il suffit « que l’auteur de l’infraction ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un crime contre l’humanité et que, par son aide ou assistance, il en facilite la pré­paration ou la consommation ». S’agissant du Yémen, Dassault, Thales et MDBA seraient bien les seuls à ignorer l’usage qui est fait de leur beau matériel…


Jérôme Canard. Le canard Enchainé. 15/06/2022


2 réflexions sur “Yémen : nos marchands de canons dans le viseur

  1. bernarddominik 21/06/2022 / 18h36

    Personne ne parle des crimes commis par les houthis et les armes iraniennes.
    Dans cette guerre civile ce n’est pas à la France de prendre parti.
    Quand on vend des armes il n’y a pas inscrit en bas du contrat « ne pas s’en servir ». Toutes ces ONG qui accusent la France ne font rien aux USA qui en vend encore plus, pourquoi?
    Parce qu’elles sont financées par des américains qui ne veulent pas partager ce marché.
    Oui la guerre c’est dégueulasse, mais ce n’est pas la France qui l’a initiée mais l’Iran, à quand des manifestations devant l’ambassade d’Iran?
    Toutes ces ONG nous prennent pour des couillons.

  2. jjbadeigtsorangefr 21/06/2022 / 22h40

    Dassault, Thales et MDBA ne vendent des armes que pour défendre, défendre leurs intérêts bien sur et ils sont innocents car ces armes devaient uniquement servir des défilés militaires pas écraser des civils. Vous avez des doutes?

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