Le « vide » catholique

Secoué par le rapport Sauvé, l’église catholique doit se réformer…

… c’est du moins l’avis d’une théologienne Anne Soupa, faisant le constat de moins en moins de croyants comme de pratiquants…

Violences pédocriminels et sexuelles, désaffection des fidèles, conservatisme, guerres internes mortifères…  Anne soupa, « tomber en militante » en 2008, après des propos sexistes du cardinal André Vingt-Trois, cette bibliste (spécialiste de l’étude de la Bible), n’a jamais cessé d’aiguillonner son église.

Dernier coup d’éclat, en 2020: elle se propose comme future archevêque de Lyon, démarche vouée à l’échec puisque le poste est interdit aux femmes. Pour autant, Anne Soupa ose croire à la fécondité d’un « christianisme minoritaire ».

Publié en octobre dernier, le rapport de la commission Sauvé fut un séisme pour l’Église, dont les secousses continuent de se faire sentir…

Ce rapport a posé un regard extérieur, honnête et compétent sur un fléau bien plus important que ce qu’on imaginait. Et depuis sa publication, de nouvelles affaires sortent. Tout le temps ! Éric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, a prononcé le mot « systémique » : il y a en effet quelque chose, dans le fonctionnement même de l’Église de France, qui favorise les abus. Je fais confiance à Marie Derain de Vaucresson, qui préside la nouvelle Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, pour aider les victimes à faire valoir leurs droits. Mais les évêques ouvriront-ils un processus de réforme? Pour l’instant, on ressent une espèce d’atonie. Ce qui a été dit sur la place des femmes, par exemple, m’a très peu convaincue.

Un problème systémique appelle un changement de système…

Absolument, et le point le plus important est le statut des prêtres. Se concentrer sur le célibat, c’est regarder la réalité par le petit bout de la lorgnette et ne pas voir que le fait générateur des abus, c’est la sacralité du prêtre. Il y a dans le droit canon un article qui dit que le ministère ordonné est d’institution divine. C’est une énormité ! Les victimes l’ont dit: comment résister à un homme considéré comme sacré, et comment oser dénoncer un tel homme? Il faut des ministères non sacralisés, temporaires, ouverts aux femmes et avec un célibat optionnel. Des ministères qui ne soient pas des états de vie mais des fonctions. Or, accepter cette réforme serait reconnaître que les protestants ont eu raison, près de cinq cents ans avant les catholiques… L’épiscopat français ne fera rien là-dessus, car cela dépend de Rome. Changer ce système est une entreprise de titan. En revanche, certains points pourraient bouger plus facilement pour les femmes : leur permettre de lire l’Évangile et d’en faire le commentaire (l’homélie), ou recommander aux évêques d’autoriser les petites filles à servir l’autel. Mais cela déclencherait de très grandes colères chez les tradis. Un président de la Conférence des évêques réformateur se heurterait à deux freins : le frein conservateur français en interne, et le frein de Rome. Donc, la réforme… Qui y croit?

Comment justifiez-vous un renouvellement de la place des femmes dans l’Église?

Jésus n’a aucune vision genrée des personnes. Quand il rencontre des femmes, il les considère comme des êtres humains, à égalité avec les hommes. Il ne leur dit jamais « c’est l’heure d’aller préparer le repas, ton homme t’attend». Il écoute leurs problèmes, leurs forces, leur foi. On peut aussi s’appuyer sur le chapitre 2 de la Genèse que Rome ne veut pas interpréter correctement, préférant maintenir la fiction d’un homme né avant la femme. Cela pousse à croire en une inégalité naturelle entre les deux et accrédite la domination masculine. Alors qu’en fait, en hébreu, Adam signifie l’être humain générique. Il est écrit que Dieu fait tomber une « torpeur » : en langage biblique, cela veut dire qu’on efface et qu’on recommence. L’interprétation correcte de ce passage est donc la suivante : Dieu s’est trompé dans sa création, qu’il corrige pour créer une femme aux côtés de celui qui dorénavant va s’appeler l’homme masculin. Je pourrais évoquer bien d’autres arguments pour nous inscrire en faux contre l’attitude conservatrice de l’Église, ce vieux navire qui n’a pas réussi à changer de cap et continue à tenir son gouvernail du côté du patriarcat sans savoir comment bifurquer.

La révélation de l’ampleur des violences pédocriminelles commises par des prêtres accentue la désaffection des fidèles…

Je reçois beaucoup de courriers de gens qui me disent être à bout, n’avoir plus envie de s’investir. Entre 40 et 50 % des Français sont catholiques mais seulement 2% pratiquent régulièrement. L’essentiel du catholicisme est donc désormais hors les murs de l’institution ecclésiale. Que fait-on avec un constat pareil ? J’ai forcément des liens avec les 2% de pratiquants, parce que j’ai été formée dans le catholicisme. Mais je ne peux plus cautionner l’institution. L’Église catholique est en train de devenir une machine à exclure. Or, une Église qui exclut, ce n’est plus du christianisme. Dans notre conscience, nous sommes obligés de prendre nos distances avec elle, et pourtant quelque chose nous y rattache toujours. C’est un choix impossible, une tragédie intérieure. Il nous faut accepter d’être habités par cette fracture inconfortable et féconde.


Court extrait d’une interview menée par Elise Racque. Télérama N° 3778. 08/06/2022


4 réflexions sur “Le « vide » catholique

  1. bernarddominik 12/06/2022 / 8h12

    En ce qui me concerne je trouve les dogmes du christianisme fumeux (un dieu le père qui sacrifie son fils pour que lui même pardonne un péché commis par un très lointain ancêtre et dont personne ne sait de quoi il s’agit, qui plus est fils né d’une femme vierge )

  2. christinenovalarue 12/06/2022 / 8h17

    l’Église catholique n’est que le reflet de notre société, va-t-on réformer notre société ?

    • Libres jugements 12/06/2022 / 11h57

      Bonjour Christine et merci pour ton commentaire
      Il y a dans l’histoire des sociétés : des cycles, révolutionnaires, d’omniprésence cultuelle, de « lumières », d’arts, de moralités intransigeantes ou permissives-laxistes, tout comme la nature elle-même comportant des périodes caniculaires, pluvieuses et d’autres glaciaires…
      Tu dis que « l’Église catholique n’est que le reflet de notre société » peut-être encore faut-il définir ce qu’est « le reflet » ou, dans quel territoire, en France, à l’étranger ?
      L’analyse de ce « reflet de la société » est déterminée par quel critère, est-il celui d’un instant T ou continuel, qui « pose » le critère (différent selon la personne qui l’aura émis) ?
      Ah, que de maux accroche-t-on aux mots.
      Pour ma part, en accrochant des articles sélectionnés sur ce blog, dans une infime mesure, je contribue au reflet (ou aux reflets) de la société, des événements.
      Reste que cette sélection n’est, même si je fais très attention à multiplier et les sujets et les sources dans la mesure des articles piochés, que parfaitement subjectives et ne sont reflets que mes inquiétudes ou questionnements personnels; pourquoi n’en serait-il pas de même des journalistes éditorialistes, présentateurs de JT ?
      En peu de terme aucun « reflet de société » est neutre, cherchons toujours (faut-il dire hélas), à qui il profite !
      Amitiés
      Michel

  3. jjbadeigtsorangefr 12/06/2022 / 10h39

    La quadrature du cercle est plus facilement accessible que la réforme de l’église. Les vieux clichés tiennent bon aux mains de nantis ecclésiastiques qui, de tous temps, ont servi les exploiteurs.

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