Chômage, une réforme dévastatrice

Nommée première ministre le 16 mai dernier, Mme Élisabeth Borne avait sept mois plus tôt mis en place une réforme de l’assurance-chômage qui entraîne une baisse importante des allocations pour de nombreux demandeurs d’emploi.

Présentées comme un moyen de lutter contre les contrats courts, les nouvelles règles pénalisent d’abord ceux qui les subissent, a fortiori s’ils ont connu une baisse d’activité.

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La logique comptable de l’exécutif

À Pôle emploi, un algorithme a remplacé la calculatrice des agents chargés de l’indemnisation. Celui-ci permet de réduire les allocations des salariés qui ont des périodes d’inactivité. Lors du calcul de nouveaux droits, la baisse d’une allocation peut aller jusqu’à 43 % (par rapport au calcul issu des anciennes règles) selon l’Unédic, l’organisme paritaire qui gère le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi (1).

Ce volet de la réforme remplit son objectif d’économies substantielles (2,3 milliards d’euros par an), mais au détriment de salariés parmi les plus vulnérables, les « permittents » qui alternent contrats courts et périodes de chômage.

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Le nouveau système de calcul pénalise également ceux qui commencent tout juste leur vie professionnelle : « Fin janvier, une collègue s’est retrouvée catastrophée face à une jeune femme de 19 ans en pleurs, témoigne M. Daniel Mémain, agent Pôle emploi en Occitanie, syndicaliste Sud. Elle venait d’apprendre qu’elle n’aurait que 600 euros par mois, après avoir travaillé plus d’une année continue. Le nouveau système de calcul a pris en compte un emploi d’été d’une semaine qu’elle avait effectué deux ans auparavant. Avec l’ancien mode de calcul, elle aurait touché deux fois plus d’allocations, environ 1 200 euros. Cette réforme impacte en premier lieu les jeunes, tous ceux qui bossent dans la restauration rapide pour payer leurs études, tous ceux qui font des petits boulots. »

Le 1er février 2022, dans le XXe arrondissement de Paris, au pied du siège de Pôle emploi. Pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, une intersyndicale de salariés manifeste, pour une amélioration de leurs conditions de travail. Mégaphones, fanions colorés, lecture de textes. « Les agents de Pôle emploi vont subir les conséquences de la réforme vis-à-vis des privés d’emploi. Nous craignons des tensions en agence », explique M. Pierre Garnodier, représentant la Confédération générale du travail (CGT) des privés d’emploi et des précaires. « En outre, la direction générale est en train de créer des “conseillers référents indemnisation”, qui devront gérer jusqu’à huit cents demandeurs d’emploi chacun, sur toutes les questions : baisses de droits liées à la réforme, trop-perçus, etc., dénonce-t-il. Il va être impossible de leur donner des informations immédiatement, les agents seront en situation de mal-être. »

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M. Renoard estime que le gouvernement feint d’ignorer le quotidien des trois millions de Français qui vivent de contrats courts (2) : « Nous sommes en train de monter un syndicat interprofessionnel de l’intermittence de l’emploi, pour défendre nos droits, après avoir constaté que cela concerne tous les secteurs : le nettoyage, le service à la personne, le milieu de la culture, du tourisme, du journalisme, de la sécurité, etc. Nous en découvrons toujours plus. »

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Cette dernière réforme s’accompagne de sanctions financières à l’encontre des entreprises qui, selon le gouvernement, ont « un recours excessif aux contrats courts ». Un « bonus-malus » doit moduler le taux de contribution patronal en fonction du nombre de fins de contrat de travail ou de missions d’intérim rapporté à l’effectif de l’entreprise (3).

Ce dispositif ne sera appliqué qu’à partir du 1er septembre 2022. Des patrons s’inquiètent des conséquences tant des pénalités pour les entreprises que de la précarisation du personnel : « Si on ne peut plus faire appel à des extras, notre métier disparaît. Cela entraînera de telles charges supplémentaires qu’on sera obligés de vendre à des prix exorbitants », estime M. Éric Louis, traiteur à Avignon, spécialisé en organisation de réceptions et dont le chiffre d’affaires atteignait 11,2 millions d’euros en 2019.

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M. Éric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), dit « ne pas voir d’un bon œil » l’instauration du malus. « Les fédérations professionnelles concernées étaient prêtes à travailler sur ces sujets-là. Mais on les a mises dans l’entonnoir, comme les demandeurs d’emploi dans les nouveaux calculs. C’est typiquement français : de la taxation, de la sanction, on ne sait faire que comme ça », se désole-t-il.

Les premières conséquences visibles de la réforme ne devraient pas étonner. On pouvait déjà en prendre la mesure dans l’étude d’impact de l’Unédic du printemps 2021. Elle prévoyait que plus de 1,1 million de chômeurs, représentant plus de 40 % des entrants, verraient leurs droits réduits dans les dix-huit mois suivants, avec une baisse moyenne de 17 %.

La durée de leur indemnisation passerait en revanche de onze à quatorze mois. L’allongement de quatre à six mois de travail comme condition minimale d’affiliation devrait, lui, conduire à retarder l’ouverture de droits de moins d’un an pour 285 000 personnes et d’un an ou plus pour 190 000 autres.

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Damien Lefauconnier. Le Monde Diplomatique Web. Source (Extraits)


2 réflexions sur “Chômage, une réforme dévastatrice

  1. bernarddominik 08/06/2022 / 13h44

    Je pense que c’est le problème global de l’etatisation de la protection sociale, à l’origine elle était gérée paritairement patronat syndicats qui, à travers les cotisations, devaient assurer l’équilibre des comptes (santé retraite chomage). En se substituant aux organismes paritaires l’état assure les déficits et encaisse les bénéfices. La baisse du chômage et la baisse des allocations est pain béni pour le gouvernement, Macron à bien vu tout le parti qu’il pouvait en tirer.

  2. jjbadeigtsorangefr 08/06/2022 / 23h39

    La misère s’accroît pour le monde du travail comme les profits pour le monde du capital…..

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