Vers de nouvelles « lois retraites »…

Si l’manu, a les coudées franches via les législatives, pour sûr, la casse des retraites sera importante. Aux électeurs de bien voter, surtout en connaissance de cause… MC

Réformes des retraites : petites combines et grosses ficelles

En déclarant, il y a trente ans, que « la réforme des retraites [avait] de quoi renverser cinq ou six gouvernements », Michel Rocard, le Premier ministre d’alors, avait fichu la trouille à tout le monde ! D’où la sainte prudence en la matière, sur le report de l’âge de départ, par exemple (un vrai chiffon rouge).

Dernier exemple en date ?

Avant le premier tour, Macron préconisait l’âge de 65 ans (pour rallier les électeurs de droite). Avant le second (pour rallier les électeurs de gauche), il a fait machine arrière, expliquant qu’il était « prêt à bouger » si sa proposition suscitait « trop d’angoisse chez les Français ».

Aujourd’hui, Olivier Dussopt, chargé du dossier, laisse entendre que rien ne presse et que l’on s’achemine tranquillou vers autre chose. « Le recul de l’âge de la retraite, explique un ancien responsable de la caisse complémentaire Agirc-Arrco, met immédiatement 2 millions de personnes dans la rue. Les gouvernements préfèrent agir par le biais de mesures techniques, peu lisibles. »

Bien vu ! Et voici quelques petites et grosses ficelles, utilisées depuis plusieurs décennies, pour économiser en loucedé sur les retraites tout en se mettant à dos le moins de monde possible…

Merci l’inflation !

En 1987, Philippe Seguin, alors ministre (gaulliste) des Affaires sociales, décide d’indexer exceptionnellement, pour un an, les retraites sur l’inflation, et non plus sur l’évolution des salaires, qui lui est généralement supérieure. L’« exception » sera reconduite chaque année, y compris par la gauche, revenue au pouvoir en 1988, via un discret amendement glissé dans le budget, jusqu’à ce qu’Édouard Balladur, en 1993, rende la mesure définitive. Depuis dix ans, l’inflation s’est révélée de 5 points inférieure à la hausse des salaires : 7 milliards sucrés chaque année sur les retraites.

Cotisons ardents !

Mais, Balladur a aussi (sans toucher à l’âge tabou de 60 ans, instauré par Mitterrand en 1982) allongé la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans. Et il a discrètement reporté sa base de calcul sur les 25 meilleures années (au lieu de 10).

En 1995, Alain Juppé, désireux d’étendre au public les réformes de Balladur qui concernaient uniquement que le privé, se casse les dents sur des grèves massives. C’est François Fillon qui sautera le pas, en 2003, en portant la durée de cotisation à 41 ans et demi.

Sexagêneurs

En 2010, Nicolas Sarkozy brise le tabou dès 60 ans et fixe l’âge légal de départ à 62 ans. Économie pour les retraites ? Autour de 20 milliards par an.

La gauche, qui avait organisé de grandes manifestations contre la réforme, ne la remettra pas en question après l’élection de François Hollande à l’Élysée.

Au contraire : en 2014, Marisol Touraine allonge la durée de cotisation à 43 ans. Petite mesquinerie ? Dans la foulée, il est décidé de revaloriser les pensions non plus sur l’inflation de l’année à venir, mais sur celle de l’année passée. Hop ! un an d’indexation sucré en douceur…

Caisses qui roulent…

Les organismes de retraite complémentaire (Agirc et Arrco, aujourd’hui fusionnées) ne sont pas en reste, via des mesures techniques parfois ésotériques. La valeur des « points » que le retraité a achetés au cours de sa carrière, sur laquelle se fonde le montant de son supplément de pension, a progressivement baissé (de 40 % en trente ans !)

Autre gâterie, le « coefficient de solidarité » instauré trois ans auparavant : un salarié prenant sa retraite du régime général à l’âge légal, et avec la durée de cotisation requise, devra cotiser un an de plus à l’Agirc-Arrco pour percevoir sa retraite complémentaire. Sans quoi celle-ci sera amputée de 10 % pendant trois ans.

Ces fines astuces, plus ou moins dissimulées derrière des mesures techniques, ont permis, globalement, de diminuer le montant des pensions versées (340 milliards en 2020) de près de 100 milliards et de repousser de deux ans depuis 2010 l’âge effectif et moyen de départ à la retraite des Français : de 60 ans et demi à 62 ans et demi, et à 64 ans en 2035.

Discret et efficace.


Rapport ou report d’enquête ?

Une première ! Le Conseil d’orientation des retraites (COR), chargé d’éclairer le gouvernement sur la situation des retraites (et donc sur les mesures à prendre), va annoncer qu’il diffère à une date inconnue la publication de son rapport annuel, initialement prévue le 22 juin.

Motif ? Le gouvernement ne lui a pas fourni en mars, comme chaque année, les documents sur lesquels il est censé appuyer ses travaux.

C’est bien la preuve que le report du débat sur les retraites, indiqué par le gouvernement pour cause de priorité nouvelle accordée au pouvoir d’achat, a été en réalité décidé plusieurs mois auparavant, bien avant la flambée de l’inflation.

Comme les syndicats et une grande partie des électeurs s’opposent à ce que l’on retarde l’âge de départ à la retraite, mieux valait attendre des jours électoralement moins chargés.


La faille cachée dans le trou

À combien s’élève, en France, le déficit des retraites ?

Le chiffre devrait être clairement établi par Bercy. Seulement, il ne l’est pas, comme le montre, dans le numéro de printemps de la revue (libérale) « Commentaire », une analyse publiée par un groupe de hauts fonctionnaires sous le pseudonyme de « Sophie Bouverin ».

Selon ces spécialistes, le déficit des retraites en 2020 ne serait pas de 13 milliards (comme annoncé par le Conseil d’orientation des retraites), mais bien de 43 milliards. Trois fois plus — c’est tout.

Explication : le COR (l’indique d’ailleurs explicitement dans son rapport) ne prend pas en compte le déficit des caisses de fonctionnaires (État, collectivités locales et hôpitaux) financées par le Budget.

Si l’État appliquait les taux de cotisation constatés dans le privé, il afficherait, affirment les analystes, un déficit de 30 milliards. Alors que la cotisation des entreprises s’élève à 16,4 % des salaires, celle de l’Etat pour ses fonctionnaires civils atteint 77 % de leur traitement.

Être généreux sans s’en vanter : la classe !


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 01/06/2022


2 réflexions sur “Vers de nouvelles « lois retraites »…

  1. bernarddominik 05/06/2022 / 8h54

    C’est bien la raison pour laquelle Macron veut instituer un régime unique, ainsi il ferait supporter aux salariés du privé 61% du coût des retraites des fonctionnaires.
    Il y a aussi une réalité simple, c’est que pour compenser la baisse du rapport salarié/retraité, il n’y a que 2 solutions, augmenter les cotisations, donc baisse du niveau de vie des salariés, ou augmenter la durée de cotisation.
    À travers la CSG les revenus fonciers et les dividendes participent à notre système social, mais c’est l’état qui décide de son affectation.
    Ça permet à Macron de jouer au bonneteau avec les comptes sociaux. Il serait possible de revoir le calcul de la CSG notamment sur les royalties les stock options, les gros dividendes (les profits sont taxés à 30% et les dividendes tirés des profits à 30% ce qui fait au total 60% c’est plus que sur les profits spéculatifs ou fonciers).
    Mais, Macron ne touchera pas au bas de laine des ultra-riches

  2. jjbadeigtsorangefr 06/06/2022 / 23h30

    La retraite n’est pas une fin de vie, elle doit être une vie nouvelle où chaque travailleur doit pouvoir disposer de son temps et d’un budget suffisant pour vivre c’est à dire, outre se nourrir, se cultiver voyager……Personne ne demande de vivre dans des suites à plus de 10 000€ la nuit, pourtant elles existent et généralement occupées par ceux qui refusent aux salariés d’exister pendant leur retraite.

Les commentaires sont fermés.