En pleine guerre d’Ukraine, les États-Unis viennent de faire une annonce qui sème la confusion au sein de l’Alliance (militaire) atlantique.
Le 20 avril 2022, l’armée US a annoncé qu’elle allait s’équiper d’un nouveau fusil d’assaut : le XM5, joujou de haute précision capable d’envoyer des pruneaux de 6,8 mm de diamètre (un calibre non homologué par l’Otan !)
En 1980, l’Organisation avait opté pour des pétoires expédiant des bastos de 5,56 mm.
Mais les étoilés de l’US Army ont jugé que ce petit calibre avait montré ses limites face aux djihadistes en Afghanistan. : « Une balle de 5,56 laisse quelques minutes de survie au combattant touché, explique un ponte de l’industrie de l’armement. Ce qui lui permet de répliquer. Les Américains veulent une arme qui tue sur le coup, capable de percer les nouveaux gilets pareballes, plus résistants. D’où leur choix du gros calibre 6,8, même si le fusil est plus lourd. »
Pas grave : une partie de leurs trouffions disposent d’exosquelettes pour porter leur barda. Pour l’heure, 100 000 boys (soit 7 % des effectifs de l’armée de terre) sont équipés de ce fusil.
Flingots bons à jeter
« Une fois de plus, les Américains décident de manière unilatérale de changer de modèle d’arme, sans se préoccuper de leurs alliés, peste un galonné. Or, quand la plus grosse armée de l’Alliance modifie le calibre de ses fusils d’assaut, l’arme de base du bidasse, les autres doivent forcément s’aligner. »
Quant à laisser coexister plusieurs calibres, c’est impossible : l’Otan a érigé le principe intangible d’inter-opérabilité.
Traduction ? Un bidasse français doit pouvoir échanger son arme avec un collègue polonais ou néerlandais.
« Les Européens ne doivent pas chercher à être interopérables avec les Etats-Unis mais entre eux, assène pourtant au « Canard » le général Vincent Desportes, auteur de « Visez le sommet — Pour réussir, devenez stratège ». Adopter les normes américaines nous coûte une fortune ! »
Sauf que les ricains sont les plus forts et qu’à terme toutes les armées du Vieux Continent devront remiser aux râteliers les fusils tirant au 5,56 estampillé Otan. Gigantesque dépense en vue !
Ballot pour la France, qui, en septembre 2016, a troqué ses Famas des années 70 contre des HK416 crachant du 5,56 mm. Sa commande de 117 000 flingots au fabricant allemand Heckler & Koch court jusqu’en… 2028. A 1 200 euros pièce, le marché dépasse largement les 100 millions.
Les Français n’ont pas vu le coup venir.
« En 201 7, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense de François Hollande, s’est précipité sur le HK416 pour consolider la coopération franco-allemande », regrette un acteur de l’époque. Comme dans l’affaire du contrat de sous-marins pour l’Australie, détourné à leur profit par les Américains, le Pentagone tricolore a bonne mine
La France, qui a tout misé sur le nucléaire et la haute technologie, pèse peu sur le marché des armes légères. Son industrie s’est tiré une balle dans le pied le jour où elle a cessé de fabriquer elle-même ses mousquetons à petit calibre. Lorsque la Manufacture d’armes de Saint-Etienne, qui produisait les Famas, a définitivement mis la clé sous la porte, en 2001, l’Etat n’a pas pris le temps de lui trouver un successeur. « Equiper l’armée en fusils tricolores ne faisait pas partie des enjeux stratégiques », se rappelle un colonel.
Ça va douiller !
De plus, et alors qu’il consomme tout de même 100 millions de cartouches par an, l’Hexagone ne fabrique plus de petites munitions de guerre. En 2000, la dernière cartoucherie, établie au Mans, a fermé.
Les douilles achetées par la suite en Israël et aux Emirats arabes unis ont provoqué de graves incidents de tir à cause de leur mauvaise qualité. En 2017, Le Drian a voulu relocaliser la production. Un projet à 100 millions — trop cher pour Bercy. « Depuis la guerre en Ukraine, on redécouvre que cette activité est un enjeu de souveraineté », déplore un képi étoilé.
Le conflit aggrave notre pénurie de cartouches. Il y a sept ans, après la première crise ukrainienne, un rapport parlementaire alertait déjà sur des retards de livraison de « six à sept mois », astreignant l’armée à « décaler certaines séances d’entraînement ».
Il n’y a qu’à décaler aussi les guerres…
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La mitraille a du plomb dans l’aile
Président de la commission de la Défense à l’Assemblée, Christian Cambon le répète au « Canard » : « Nous sommes capables de projeter des missiles à 3 000 ou 4 000 km, mais nous manquons de munitions. Cette pénurie est une affaire récurrente pour tous les gouvernements. Maintenant, il est urgent de renouveler les stocks ! » En faisant nos emplettes à l’étranger, par exemple. Une pitié pour notre pays, roi des marchands de canons…
Sauf que l’offre ne suivra pas forcément. « Ce secteur souffre, comme les constructeurs automobiles, de la pénurie de matières premières, gémit le dirigeant d’un groupe d’armement. Les délais de production sont repoussés de neuf à douze mois. » Pour fabriquer une balle et son étui, il faut travailler l’acier, le laiton et le cupronickel, un alliage anticorrosion incontournable. Or les marchés de ces matières premières sont en forte tension.
Pour Poutine aussi, cela dit. Ça console un peu.
Odile Benyahia-Kouider et Christophe Labbé. Le Canard Enchainé. 11/05/2022
ce qui est plaisant c’est que depuis 1870 on arrive toujours avec une guerre de retard . Au moins c’est une constante.
À part le qualificatif de « plaisant » dans ce commentaire, la non dénonciation de l’emprise des guerres sur les citoyens servant de bouclier humain, n’exerçant aucune censure – ce qui ne vaut nullement acquiescement des propos – nous validons fidèle à notre devise : « tous les propos font évoluer la réflexion ».
Michel
Bien vu, mais quand songera-t-on à ne plus faire la guerre?