Il faut parler des mâts de cocagne, ces anciens jeux des villages en fête.
On dressait sur les places publiques un mât haut et lisse, enduit de suif ou de savon noir pour le rendre plus glissant. Un cerceau fixé au sommet offrait des victuailles : jambons, pâtés, bouteilles de champagne se balançaient en guirlande, aguichant les grimpeurs qui devaient aller les cueillir à la force des bras et des jambes pour la plus grande joie des spectateurs.
Dans certains cas, vers le milieu du siècle dernier, on plaçait à la cime du mât une timbale, sans doute en argent, que le plus valeureux champion allait « décrocher » sous les applaudissements de la foule.
Bien sûr, les jeux forains sont toujours le reflet naturel des préoccupations ordinaires d’une société et ces grimpettes des dimanches en fête sont sorties de l’usage. Nous avons aujourd’hui des supermarchés, des kilomètres de rayons pliant sous des montagnes de nourriture, des chariots débordants pour la quinzaine…
Cocagne, cette illumination d’affamés chroniques, nous en venons !
Nous avons grandement peiné pour ça, grimpé à des cordes raides, usé nos reins, blessé nos genoux, accepté bien des peaux de banane.
Certes, nous avons décroché la timbale, sous les regards avides et les rires jaunes des peuples immenses et mal nourris du tiers monde…
Qui sait ? Ils nous attendent peut-être au pied du mât !
Claude Duneton. « La Puce à l’oreille »