A vous de juger !
Coup de tonnerre lors de la remise des diplômes à la prestigieuse AgroParisTech : plusieurs jeunes diplômés ont déclaré leur refus catégorique du monde qui les attend.
« Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers d’obtenir ce diplôme, à l’issue d’une formation qui nous pousse à participer aux ravages écologiques et sociaux en cours. Nous ne considérons pas ces ravages comme des ‘enjeux’ ou des ‘défis’ à relever ». Debout sur la scène de leur prestigieuse école, ces étudiantes et étudiants d’AgroParisTech sont venus crier leur refus du monde qui les attend – et du rôle qu’ils et elles sont censés y jouer.
AgroParisTech, fondée en 2007, est l’héritière de trois établissements prestigieux : l’institut national agronomique Paris-Grignon ; les « eaux et forêts » ; et l’École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires (ENSIA). Mais il fallait un nom anglais moche. Le vrai est « institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement ».
Or, justement, le vivant est la préoccupation de ces jeunes diplômés, qui estiment que « l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie ». Et, après 3 ou 4 ans d’études sur le sujet, ils savent de quoi ils parlent.
« Se débarrasser de l’ordre social dominant »
Rappelant que les sciences et techniques « ne sont pas neutres », ils estiment que les start-up et l’innovation ne sauveront qu’une seule chose – le capitalisme – et pas eux, ni la Terre, ni les animaux, ni nous. Croissance verte ? Transition écologique ? Économie verte ? Développement durable ? Très peu pour eux, qui estiment que pour être durable, notre société devrait se débarrasser de « l’ordre social dominant ». Destinés à devenir les « cadres » de notre société, et des sociétés commerciales, ces jeunes gens refusent de faire semblant.
La RSE, pour responsabilité sociale des entreprises, dont se gargarisent tous les grands groupes, jusqu’à Total, qui produisent des rapports de centaines de pages sur le sujet pour arriver à faire croire à leurs cadres que, non, ils ne bousillent pas l’avenir de leurs propres enfants ? Très peu pour eux également, eux, qui savent que l’industrie agro-alimentaire dépossède les paysans de leurs savoirs, fourgue des produits toxiques dans nos assiettes – coucou Buitoni, coucou Ferrero – et est responsable de la dégradation de notre santé, avec les conséquences supportées bien sûr par la collectivité, et non pas par les actionnaires de Nestlé ou Carrefour.
Bref, pour ces têtes bien pleines et manifestement bien faites, il ne s’agit pas seulement de prendre des postes dépourvus de sens – les « jobs à la con », ou bullshit jobs décrits par l’anthropologue David Graeber, ces emplois aux noms ronflants, bien payés, mais qui, en réalité, consistent à suivre des procédures absurdes, ou à surveiller des gens dont on ne comprend pas ce qu’ils font.
Ici, c’est bien pire : il s’agit d’emplois destructeurs du vivant, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour ces jeunes gens qui vouent leur vie à ce qui pousse. Loin de prétendre avoir toutes les solutions, ils reconnaissent « douter ». Mais ils veulent tendre la main aux anciens diplômés, qui négocient avec leur conscience, ou détournent le regard sur ce que fait leur entreprise.
Prise de conscience par les luttes
Comme ils l’expliquent, dans leur prise de conscience, la rencontre avec des personnes luttant contre des projets « qu’ils auraient pu mener en tant qu’ingénieurs » aura été décisive. Ces personnes qui refusent la destruction de lieux de vie de leur enfance, rasés pour construire des « éco-quartiers », c’est-à-dire des lieux artificiels mais avec quelques plantes en pot là où auparavant coulait une rivière, leur ont montré l’envers de leur activité.
Que font-ils ? Que vont-ils devenir ? L’une d’elles déclare « vivre depuis deux ans dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes », où elle pratique « l’agriculture vivrière ». Un autre s’est installé comme agriculteur dans le Dauphiné. Une autre veut faire du dessin. Un dernier a ouvert, avec d’autres, une ferme dans le Tarn, où ils travaillent en lien avec un paysan-boulanger, des brasseurs et des arboriculteurs.
Bien sûr, personne, à commencer par eux-mêmes, ne sait où ils seront dans quelques années. Mais si vous voulez faire briller vos yeux, vous pouvez regarder la vidéo de ces jeunes gens honnêtes, courageux, et chaleureusement applaudis. Sept minutes d’espoir dans un monde de brutes.
Jacques Littauer. Charlie Hebdo Web. Source
Prendre conscience que la formation reçue ne vise qu’à assurer la promotion de la mise en oeuvre de techniques dont le seul but est de faire du fric en se foutant du reste est un geste magnifique.