Miam, miam !

Fraudeurs alimentaires

Au XVIIIe siècle, les bouchers peu scrupuleux gonflaient d’air la carcasse de leur animal pour en accroître le volume. Ils maquillaient leur viande grisâtre en utilisant des colorants qui, telle la cochenille, lui redonnaient son plus beau rouge. Ils trafiquaient leurs saucisses en y mettant des bouts de charogne. Les boulangers, eux, mélangeaient tout et n’importe quoi à la farine de leur pain — plâtre, craie, sable, talc, fécule de pomme de terre… Quoique peu contrôlées, ces pratiques étaient sévèrement réprimées. Les faussaires de la miche, quand ils étaient pris, pouvaient même être pendus.

Trois siècles plus tard, les multinationales des plats en barquette grossissent leurs blancs de poulet en y injectant de l’eau. Afin de retenir le liquide lors de la cuisson, ils ajoutent des polyphosphates, un additif dit « stabilisant » qui fixe l’eau sur les protéines. Quant aux industriels de la charcuterie, ils introduisent du nitrite de sodium dans leur jambon, pour lui donner une appétissante teinte rose. Ces procédés sont légaux. Il suffit au fabricant d’indiquer sur l’emballage, en petits caractères, les ingrédients utilisés, parfois sous la forme de codes énigmatiques — E452 pour le polyphosphate, E250 pour le nitrite, etc.

Les divers maillons de la chaîne alimentaire (producteurs, marchands, taverniers…) ont toujours cherché à modifier l’apparence des denrées qu’ils vendaient, leur poids, leur volume, leur goût, leur odeur, dans le seul but d’accroître leurs gains.

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Les pouvoirs publics se sont peu à peu dotés d’un arsenal pour traquer les aliments avariés, trafiqués, frelatés. Tout au long du XIXe siècle, divers textes sont promulgués afin de punir la falsification des denrées alimentaires.

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Une grande loi est finalement adoptée le 1er août 1905, qui sert encore aujourd’hui de cadre à la lutte contre la fraude alimentaire. Appuyée sur de solides moyens, elle définit non seulement la répression, mais également la prévention et le dépistage des diverses formes de tromperie. Conjuguée aux progrès de la médecine, de l’hygiène et des techniques de conservation, elle participe d’une amélioration continue de la sécurité alimentaire en France depuis plus d’un siècle.

Quand cette loi fut adoptée, vingt mille personnes mouraient chaque année dans le pays d’une intoxication alimentaire (6). Depuis 2008, ce chiffre oscille entre deux cent cinquante et quatre cents.

La course au profit et à la productivité continue de générer son lot de scandales, depuis les lasagnes Findus à la viande de cheval en 2013 jusqu’aux pizzas surgelées Buitoni contaminées par la bactérie Escherichia coli en 2022, dans une usine aux conditions d’hygiène déplorables.

L’autocontrôle des industriels, qui ont la charge de la qualité et de l’hygiène de leurs denrées, est insuffisant, et les coupes dans les dépenses publiques ont rendu plus rares les inspections inopinées — le nombre de contrôles alimentaires réalisés par la direction générale de l’alimentation a diminué d’un tiers entre 2012 et 2019 (7). Parce qu’elles concernent des millions de produits et causent des intoxications simultanées aux quatre coins du globe — les pizzas incriminées étaient vendues en France, en Belgique, en Suisse, mais aussi au Qatar, au Bénin, au Niger, à Madagascar… —, ces affaires acquièrent une visibilité internationale.

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Si la sécurité alimentaire a fait des progrès considérables depuis un siècle, les géants de l’agroalimentaire n’en continuent pas moins de modifier artificiellement leurs produits pour séduire les clients et augmenter leurs marges, en recourant abondamment à la chimie. Grâce à un intense travail de lobbying, ils ont hissé à une échelle industrielle des pratiques autrefois prohibées et artisanales.

Il n’est qu’à voir la composition d’un croissant industriel, qui contient, outre les ingrédients attendus (beurre, lait, farine, sucre, levure, sel), de l’huile de colza, des protéines de blé, des fibres de psyllium, des mono- et diglycérides d’acides gras (agent de texture E471), de l’extrait de carotte (colorant E160), de l’acide ascorbique (antioxydant E300)…

Certains de ces additifs semblent avoir fait la preuve de leur innocuité, mais d’autres ont mis des années avant de révéler leurs dangers. Comme le nitrite de sodium, utilisé depuis des décennies et désormais accusé d’être cancérigène — sans pour autant être interdit. […]


Benoît Bréville. Le monde diplomatique. Source (extraits)


  1. A Treatise on Adulterations of Food and Culinary Poisons, 1820, disponible sur https://collections.nlm.nih.gov Cf. également Valérie Borde, « La fraude alimentaire ne date pas d’hier », L’Actualité, Montréal, juin 2018.
  2. Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire, Seuil, coll. « Liber », Paris, 2005.
  3. Cité dans Anne Sleeswijk Wegener, « Du nectar et de la godaille : qualité et falsification du vin aux Provinces-Unies, XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 51, n° 3, Paris, 2004.
  4. Cité dans Sydney Watts, « Boucherie et hygiène à Paris au XVIIIe siècle », ibid.
  5. Jean-François Tanguy, « Le laboratoire municipal de Rennes et l’hygiène alimentaire (1887-1914) », dans Yannick Marec (sous la dir. de), Villes en crise ? Les politiques municipales face aux pathologies urbaines (fin XVIIIe – fin XXe siècle), Créaphis, Grâne, 2008.
  6. Mireille Delmas-Marty, Le Relatif et l’Universel, tome 1 : Les Forces imaginantes du droit, Seuil, Paris, 2004.
  7. Mathilde Gérard, « De Lactalis à Buitoni, l’insuffisance des contrôles menace la sécurité sanitaire », Le Monde, 18 avril 2022.

Une réflexion sur “Miam, miam !

  1. jjbadeigtsorangefr 11/05/2022 / 14h13

    Les nourritures terrestres sont aussi une affaire de fric et plus on en fait et mieux les actionnaires se portent.
    Vous empoisonnez le monde? ça fait combien sur l’échelle des sanctions?

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