Il hésite, il y pense, il le cogite…

Damien Abad : Faites ce que je dis pas ce que je fais ou encore l’art de l’opportunité…

« Il y en a marre de ces élus qui retournent leur veste au gré des vents. »

Il était fumasse, Damien Abad, député LR de l’Ain, ce jour de juin 2017. La mise au point, sèche, s’adressait à Christian Estrosi, le maire de Nice, déjà furieusement Macron-compatible. C’est vrai, quoi, un peu de courage dans la tempête, les amis, sinon, nous n’irons pas bien loin. Même rigueur quand Eric Woerth annonce son ralliement à la majorité : Abad, devenu entre-temps président du groupe parlementaire à l’Assemblée, raide comme la justice, lui montre la porte fissa, parle de « cohérence » et de « dignité ».

Désormais, le voilà au côté de Christian Estrosi, Daniel Fasquelle, le maire du Tou-quet, Hubert Falco, le maire de Toulon, sans compter d’autres parlementaires moins connus que lui, à s’essayer au flirt poussé avec LRM. Juste après le second tour, il y eut un sacré moment de rigolade à LR. Réunion des dirigeants du parti autour du patron, Christian Jacob. Lequel élève la voix et traite Thierry Solère, conseiller politique de Macron et grand débaucheur d’élus Républicains, de « sinistre personnage ». On opine du chef autour de la table. Quelques heures plus tard, « Le Figaro » révèle que Damien Abad a rencontré secrètement Thierry Solère. « On était un peu sur le cul », raconte un député LR.

Pas démonté du tout, Abad évoque un simple « échange de vues ». Si on ne peut plus se parler dans ce pays, faut pas s’étonner qu’il y ait des fractures, hein. Dans le fond, Abad n’a jamais fait mystère de son envie d’aller vite et loin, confiant un jour à « Libé » : « « Ambition» n’est pas un gros mot. » Le même député LR se souvient d’une des phrases favorites du potentiel transfuge : « Son grand truc, c’est : « Pourquoi pas moi ? » »

Je te LR-EM… moi non plus

Député bosseur, parlementaire européen s’imprégnant de ses dossiers, Abad, handicapé de naissance, a failli ne jamais marcher et doit accomplir certaines tâches quotidiennes avec un auxiliaire de vie. Son énergie a toujours impressionné : « C’est vraiment un mec courageux », salue le sénateur LR Alain Cadec.

Et c’est le roi des ralliements successifs.

Début de carrière auprès de François Bayrou, qu’il quitte pour Hervé Morin, qu’il délaisse pour Sarkozy, qu’il lâche à son tour pour Bruno Le Maire, abandonné pour François Fillon, oublié pour Laurent Wauquiez, qu’il néglige pour Xavier Bertrand avant de rallier Valérie Pécresse, qu’il ne regarde plus depuis qu’il s’intéresse à Emmanuel Macron. Quelle santé !

Sur Twitter, il manie la brosse à reluire avec une belle vigueur pour faire oublier à la candidate LR qu’il était le fervent soutien d’un autre : « Tu as l’audace de Simone Veil, le sérieux de Christine Lagarde et le courage de Joséphine Baker. Valérie, tu es notre espoir à droite et, demain, tu seras notre boussole pour la France. » Il a déjà changé de boussole, mais, incontestablement, y a du métier.

Le rapprochement d’Abad et de LR-EM peut étonner, car c’est l’un des plus féroces détracteurs du Président. Il a épinglé son « narcissisme », dénoncé « une gestion de la crise sanitaire qui apparaît comme chaotique », souligné son échec sur le dossier scolaire — « Il n’a pas réussi à faire de l’éducation un moyen de l’ascension sociale ».

Sa gestion de la dette ?« Légèreté coupable », lance-t-il dans une tribune cosignée avec Bruno Retailleau et François-Xavier Bellamy.

Le budget 2021 ?« Ce n’est pas celui d’un chef d’Etat, mais d’un candidat qui fait campagne avec le chéquier de la France. » La loi sur le séparatisme, l’un des textes phares du quinquennat ? « Un texte de renoncement qui manque d’ambition. » Il résume sa pensée en 2021 : « PME, transmission, retraites, réforme de l’Etat, actionnariat salarié, Code du travail, sécurité, islamisme… Ce quinquennat restera celui des promesses non tenues et des ambitions perdues. »

Lorsque explose l’affaire Benalla, la réponse de Macron (« Qu’ils viennent me chercher ! ») lui inspire une réflexion sans équivoque : « Je n’aime pas la République des fanfaronnades et des rouleurs de mécaniques. »

Les 24 heures du ralliement

S’il n’a pas encore officialisé son ralliement, c’est parce qu’il a roulé sa bosse. « Castex n’aurait rien contre l’idée de rester ministre, Attal voudrait un beau ministère, Bayrou se pousse du col, Beaune n’a pas démérité, Lecornu a montré son savoir-faire, Bruno Le Maire est gourmand, Falco voudrait la Défense, Estrosi attend depuis longtemps, Valls est prêt à tout, bref, les places sont chères ! » s’amuse un communicant qui suit l’affaire de près. « Les ralliés potentiels réfléchissent forcément depuis qu’ils voient comment Macron traite aujourd’hui Edouard Philippe », ironise Alain Cadec.

Lors du meeting parisien de Valérie Pécresse au parc des expositions, début avril, Laurent Wauquiez avait ôté la pancarte posée sur le siège de Damien Abad, resté inoccupé à ses côtés. Certains petits malins y avaient vu un symbole. Abad, moqueur, avait répondu : « On a bien ri en voyant circuler ces images et le sens que certains leur ont donné. »

C’est encore plus drôle aujourd’hui.


Anne Sophie Mercier. Le Canard enchaîné. 04/05/2022


3 réflexions sur “Il hésite, il y pense, il le cogite…

  1. christinenovalarue 11/05/2022 / 16h35

    Je le verrais bien vice-premier ministre, en co-équipe avec manuel Valls. La fine fleur de la macronie !

    • Libres jugements 11/05/2022 / 17h09

      Merci Christine pour ce propos rempli d’ironie
      Amitiés
      Michel

  2. jjbadeigtsorangefr 11/05/2022 / 23h15

    Vous avez dit combien? Adjugé vendu! Dans le système fric tout s’achète……………….

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