Bolloré rafle Lagardère à prix cassé

Quand il met la main sur une entreprise, Vincent Bolloré n’aime pas dépenser trop d’argent — c’est même à ça qu’on le reconnaît.

L’offre publique d’achat (OPA) qu’il a lancée à la mi-avril sur Lagardère en témoigne : une fine opération qui va lui permettre de s’emparer du groupe en achetant le minimum d’actions, et le moins cher possible.

Résumé des épisodes précédents… Il y a deux ans, appelé à l’aide par Arnaud Lagardère — alors attaqué par le fonds activiste britannique Amber —, le milliardaire breton entre dans le groupe. Au bout de six mois, il retourne sa veste. S’alliant avec Amber, il réussit à expulser le fiston de sa position de gérant. En sep­tembre dernier, il rachète les actions du fonds — atteignant ainsi 45 % du capital de La­gardère. Puis, pour devenir seul maître à bord, il lance son OPA, qui doit lui permettre d’acquérir au moins 50 % du groupe. Jusque-là, rien que du classique.

Actionnaires mis OPA

Ce qui ne l’est pas, ce sont les deux actes de l’OPA — séparés d’un an et demi — lancée par Bolloré. Le prix qu’il propose pour les actions convoitées est faible : 25 euros l’unité. Selon les connaisseurs, qui croient au potentiel de Lagardère, le « bon » tarif se situerait plutôt à 30 euros. Pour acquérir les 55 % qui lui manquent, Bolloré aurait donc dû débourser jusqu’à 400 millions. Faute de quoi les actionnaires, insatisfaits du prix, risquaient de garder leurs titres

  • et Bolloré de ne pas atteindre la majorité absolue du capital.

Ses financiers ont donc imaginé de scinder l’OPA en deux : ceux qui veulent vendre leurs actions dès aujourd’hui pourront le faire… à 25 euros: Les amateurs ne se bousculeront pas. Les autres peuvent s’inscrire pour bénéficier des mêmes conditions (même tarif) jusqu’au 15 décembre 2023. A cette date, ils pourront vendre leurs actions sur le marché, si le prix a augmenté, ou à Bolloré (25 euros), s’il a baissé. La quasi-totalité des actionnaires va bien sûr choisir cette option « ceinture et bretelles », qui permet d’engranger un éventuel profit sans prendre de risque.

Nono stress

A une légère condition près : ces actionnaires s’engagent à laisser Bolloré réquisitionner

  • dès maintenant et si besoin une (petite) partie de leurs titres. Ainsi, le pédégé pourra acquérir, sans attendre dix-huit mois, les « 50 % du capital plus une action » qui lui sont nécessaires. Dans une OPA classique, l’initiateur est contraint de fixer un prix élevé pour attirer les vendeurs, et il est obligé d’accepter toutes les actions qui lui sont proposées
  • même au-delà de ce qui lui est nécessaire pour atteindre la majorité. Bolloré, lui, achètera exactement ce dont il a besoin, et à bon prix.

Arnaud Lagardère a an­noncé qu’il déciderait dans dix-huit mois à qui il vendrait ses actions, lesquelles représen­tent 15,6 % du capital. De quoi tranquilliser ses banquiers, à qui il doit quelque 160 mil­lions. Assurés de revoir leurs sous grâce à la garantie de valeur minimum apportée par Bolloré, ils vont laisser « Nono » choisir le moment propice pour rembourser ses dettes. Ce dernier, en attendant, va encaisser cette année 8 millions de dividendes.

Ravi, Arnaud Lagardère n’en finit pas de se féliciter de cette « opération amicale » de son « ami de trente ans ». Et, accessoirement, prédateur du groupe de son père…


Hervé Martin.Le Canard Enchaîné. 27/04/2022


Une réflexion sur “Bolloré rafle Lagardère à prix cassé

  1. jjbadeigtsorangefr 03/05/2022 / 21h17

    Il n’y a pas de petits profits… et Bolloré aime les grands…

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