IVG :La Pologne traîne les femmes au tribunal

On le sait, la loi en matière d’avortement en Pologne est l’une des plus strictes d’Europe. En 2020, la Cour constitutionnelle l’avait limitée encore davantage, ce qui avait donné lieu à d’immenses manifestations de protestation. Face à cela s’est mis en place tout un réseau de féministes pour aider tes femmes à se procurer des pilules abortives. Mais pour la première fois en Europe, une féministe polonaise est poursuivie en justice pour ce geste, elle risque trois ans de prison.

En pleine pandémie de Covid, Aima, une jeune Polonaise victime de violences conjugales, déjà mère d’un enfant, veut interrompre une nouvelle grossesse. Impossible dans son pays, alors, elle tente de se rendre dans une clinique en Allemagne, mais son mari l’en empêche. Comme elle voulait voyager avec son enfant, il la menace même de la dénoncer pour kidnapping. Elle se tourne alors vers une autre solution. Il existe depuis plusieurs années la possibilité de prendre des pilules abortives, « remède miracle » dans les pays où l’IVG est interdite (nous vous en parlions récemment pour Malte).

Via un réseau international de féministes, comme Wornen Help Wornen, les femmes peuvent recevoir clandestinement ce type de pilule, par la poste, à condition d’être en deçà de douze semaines de grossesse. Prendre cette pilule peut comporter quelques risques, liés à la fausse couche qu’elle déclenche, surtout dans les pays où il est impossible de se rendre dans un hôpital en cas de complications. Mais c’est une solution plus que bienvenue face à des législations archaïques.

En Pologne, un réseau de féministes s’est même créé sur place, appelé Abortion Dream Team (ADT). Justyna Wydrzyriska en est l’une des fondatrices, avec Natalia Broniarczyk et Kinga Jelifiska. Elles contournent la législation polonaise qui condamne le fait d’aider à un avortement, en orientant les femmes vers ces organisations basées à l’étranger pour obtenir des médicaments abortifs par la poste.

Fin février, Anna contacte ADT et tombe sur Justyna Wydrzyfiska, à qui elle raconte sa situation désespérée. Elle arrive bientôt à douze semaines de grossesse, date fatidique après laquelle elle ne pourra plus utiliser de pilule abortive. On est alors en pleine pandémie, si elle en commande une par la poste, elle n’est pas sûre de la recevoir à temps.

Justyna Wydrzyfiska lui envoie alors directement des pilules qu’elle avait chez elle. « J’ai fait ce que je pensais être le plus juste, face au désespoir de cette femme », nous raconte-t-elle. L’histoire d’Anna fait écho à sa propre histoire : elle-même a été victime d’un mari violent il y a quelques années. « J’ai subi un avortement à douze semaines et j’ai également été dans une relation abusive. Je sais ce que cela signifie d’être dans cette situation », nous raconte-t-elle.

Mais lorsque Anna rentre chez elle, c’est la police qui l’accueille et trouve le colis contenant les pilules. Son mari l’avait dénoncée. « Nous savons que l’homme regardait son téléphone, lisait ses messages privés, et c’est probablement ainsi qu’il a découvert le paquet », raconte Justyna. Celle-ci avait laissé son numéro de téléphone sur le courrier, afin qu’Anna puisse la joindre. C’est ainsi que la police a pisté Justyna. La police débarque chez la militante féministe, perquisitionne son domicile, confisque ses ordinateurs. Elle est inculpée pour « aide à l’avortement »

Une première audience a eu lieu vendredi dernier. Les témoins n’étant pas tous présents, le procès a été reporté à juillet prochain. Dans cette audience, sans surprise, figurait aux côtés des accusateurs une structure bien connue des lecteurs de Charlie, Ordo Iuris, dont nous vous avions parlé dans le numéro du 25 novembre 2020.

Sorte de think tank ultra-conservateur, à la manoeuvre pour réduire toujours plus le droit à l’IVG en Pologne, qu’il voudrait interdire même en cas de viol. C’est à lui aussi que l’on doit les tristement célèbres « zones anti-LGBT ». Les féministes polonaises l’accusent par ailleurs d’être financé par le Kremlin.

Ces poursuites ont bien évidemment pour objectif de mettre encore plus de pression sur les organisations féministes polonaises. « C’est un procès politique », dénonce Kinga Jeliriska. Face à cette situation, ADT assure : « Nous n’allons pas cesser d’aider les femmes. Nous continuerons à faire ce qui est juste et nécessaire. Chaque personne qui a besoin d’un avortement devrait y avoir accès, sans barrières financières, sans honte et sans devoir s’excuser. »

Kinga Jelifiska espère même qu’à l’inverse ce procès permettra de faire connaître encore davantage les actions d’ADT et de susciter un soutien international. Une mobilisation s’est mise en place, avec un hashtag en polonais et en anglais : #JakJustyna et #IAmJustyna. Amnesty International a lancé une pétition pour soutenir Justyna Wydrzyfiska.

À cette occasion, Avortement sans frontières (Abortion Without Borders), une coalition de six ONG polonaises et internationales, a publié quelques chiffres éloquents. Après la restriction de la loi en 2020, dont nous vous parlions dans Charlie (la Cour constitutionnelle a réduit le droit à l’IVG, déjà très limité, en interdisant l’avortement en cas de grave malformation du foetus), la coalition a aidé 34 000 femmes à avorter en Pologne grâce à la pilule abortive, et 1 544 personnes à avorter à l’étranger.

Mais cette loi ultraconservatrice a des conséquences tragiques pour les femmes. Par peur de poursuites, les médecins n’osent désormais plus pratiquer des avortements, y compris dans les cas où la vie de la mère est en danger.

Ainsi, en novembre 2021, une femme de 30 ans est décédée à l’hôpital parce que les médecins avaient refusé de pratiquer l’avortement de son foetus de 22 semaines, non viable, préférant attendre qu’il meure naturellement. La jeune femme est morte de choc septique.

En janvier dernier, une femme de 37 ans est morte à l’hôpital pour les mêmes raisons. Voilà un petit aperçu des conséquences d’une politique d’extrême droite pour les femmes.


Laure Daussy. Charlie Hebdo. 13/04/2022


2 réflexions sur “IVG :La Pologne traîne les femmes au tribunal

  1. bernarddominik 24/04/2022 / 9h58

    Une bien triste histoire.
    Il est scandaleux que l’UE accepte ce genre de loi contraire aux lois européennes.
    La Pologne devrait être mise au pied du mur: vous changez cette loi ou vous quittez l’UE.

  2. jjbadeigtsorangefr 24/04/2022 / 10h14

    La droite extrême au pouvoir et le sort des femmes est réglé.
    Fini le droit de disposer de son corps l’incubateur est sur pied et doit se tenir à disposition du fécondateur…

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