Retordre du fil c’est prendre deux ou trois fils simples et les tordre ensemble afin de donner un nouveau fil à deux ou trois brins, plus solide par conséquent que chacun des brins pris séparément.
C’est une opération qui, lorsqu’elle était faite à la main, présentait des difficultés; d’abord parce qu’il fallait utiliser plusieurs canettes et posséder un certain doigté, ensuite parce que chacun des brins filés au fuseau n’étant pas d’une grosseur uniforme, les épaisseurs ou les minceurs se conjuguant au retordage, il était particulièrement difficile d’obtenir un fil retors raisonnablement uni, sans trop de bosses ou de parties ténues.
Ce travail donnait un mal de chien, et il me semblerait justifier suffisamment l’expression « donner du fil à retordre », par comparaison au filage proprement dit qu’une fileuse entraînée depuis l’enfance effectuait par routine et sans y penser. « On dit aussi qu’on a bien donné du fil à retordre à quelcun, pour dire qu’on lui a bien donné de la peine et de l’embarras » (Furetière).
Toutefois, P.Guiraud est d’une opinion différente : « Donner du fil à retordre, » donner de la peine « » me semble — dit-il — un jeu de mots technique, les métiers étant une des principales sources de ce type de calembours. La peine, en effet (du latin pedimus) désigne le fil de la chaîne d’une étoffe et qui forme une frange lorsqu’on enlève la pièce du métier. Cette peine est donc un fil qui doit être tordu, retourné à l’intérieur de la trame pour former la lisière.
Outre que retourner cette frange n’est pas « retordre » (le mot semble avoir toujours eu un sens technique précis), on voit mal comment cette opération très simple, et qui ne donne précisément aucune « peine », aurait pu produire le calembour. Par contre « tordre » véhicule une idée d’adresse ou de force physique, avec le sens parfois de maîtriser quelque chose, dont « retordre » a dû profiter. Je n’arrive pas à le tordre, peut vouloir dire « je ne peux pas en venir à bout ».
Claude Duneton – Recueil « La puce à l’oreille »