Expression
Francion dit d’un jeune Écossais qui voulait être son soupirant :
« Il n’entendoit pas encore bien le français, aussi ne faisois je pas son langage corrompu : de manière que nostre entretien fut un coq a l’asne perpetuel » (Sorel).
L’origine de cette locution pose un autre de ces problèmes de parenté quasiment insolubles. « Coq a l’asne — dit Furetière — est un propos rompu, dont la suite n’a aucun rapport au commencement : comme si quelcun, au lieu de suivre un discours qu’il aurait commencé de son coq, parloit soudain de son asne, dont il n’étoit point question. Ménage dit que Marot a été « le parrein de cette façon de parler, et qu’il fit une épître qu’il nomma du coq a l’asne en suite de laquelle plusieurs Poètes ont fait des Satires qu’ils ont intitulées de ce nom, où ils disoient plusieurs véritez qui n’avoient ni ordre ni suite ».
Or Ménage se trompait, car si Marot a bien instauré le coq-à-l’âne comme genre littéraire, créant ainsi une mode qui eut un vif succès au XVIᵉ siècle, il n’a pas inventé l’expression. On disait déjà au XVᵉ « sauter du coq a l’asne », et Wartburg signale au siècle précédent « saillir du coq en l’asne », qui paraît être la forme la plus ancienne de l’expression.
Cela dit on n’avance guère : pourquoi un coq et pourquoi un âne?
Il y a peut-être une allusion à une histoire ou à une réalité oubliées… Faut-il penser par exemple à des pratiques obscures de ce qui était au Moyen Âge la Fête des fous, pendant laquelle l’âne, symbole d’ignorance et de perversion, était tout à coup mis en vedette avec des honneurs parodiques qui allaient jusqu’à le placer momentanément dans le chœur de l’église? Alors que le coq était le symbole de Jésus-Christ, de la lumière et de la résurrection ?…
Cela ne conduit, à aucune conclusion possible.
J’ai longtemps caressé une hypothèse qui pour n’être pas plus fondée qu’une autre me paraît du domaine du possible, et que je livre ici à titre d’élucubration personnelle parce qu’elle me fait plaisir. L’ane est aussi, jusqu’à la fin du XIIIᵉ siècle au moins, le mot propre désignant la cane, femelle du canard. Le mot survit dans le « bédane », ce burin de forme évasée, en réalité « bec-d’ane » : bec de cane. Le terme s’est peu à peu confondu avec « asne », le baudet, à mesure que l’« s » de celui-ci n’était plus prononcé. Dans le Jeu de Robin et Marion, vers 1285, il s’installe un quiproquo volontaire lorsqu’un chasseur cherchant une ane (cane), Marion fait mine de comprendre âne :
Li chevaliers
Si m’aït Dieu, bele au cors gent,
Ce n’est pas ce que je demant.
Mais veïs tu par ci devant,
Vers ceste rivière, nule ane ?
Marion
C’est une beste qui recane ?
J’en vis hier trois sur ce chemin
Tous chargés aler au moulin.
Est ce ce que vous demandez?
L’origine de l’expression pourrait-elle se situer de façon plus « logique » du côté de ce volatile ?… Il s’agirait alors du rapport incongru d’un coq à une cane.
Si l’on considère que le sens premier du verbe « saillir », sauter, du latin salire, est « couvrir une femelle » — sens qu’il a conservé jusqu’à nos jours on peut se demander s’il n’y aurait pas là une clef possible. Il arrive en effet, dans n’importe quelle basse-cour ordinaire, qu’un coq à l’esprit mal tourné offre soudain ses assiduités à une femelle parente, telle une dinde ou une cane alanguie par le mal d’amour. Cette saute d’humeur passagère, et que la morale des oiseaux réprouve probablement, est toujours amusante à observer. Le coq, juché sur la femelle, ne sait plus comment s’y prendre et repart souvent sans arriver à ses fins. On peut.
Claude Duneton. « La puce à l’oreille »
L’âne est le plus respectable animal de la création. Pour avoir traîné mes guêtres dans de l’Afrique je suis persuadé que c’est l’animal le plus utile qui existe au service de l’homme.