« Facultatoire »: « Se dit facultatif; mais devient obligatoire ».
Sur un mode ironique, l’établissement d’un glossaire de néologismes liés à la crise sanitaire (où l’on trouvait également le verbe « attestarder » (« Remplir son attestation alors qu’on est déjà dans la rue»)) a fait émerger une vraie question: faut-il de nouveaux mots pour appréhender le moment politique que nous vivons?
Alors que se déclenchent des tempêtes dans des verres d’eau autour de mots entrant dans le dictionnaire, à l’instar du pronom non genré « iel », nous manquons sans doute de termes pour décrire notre époque de découragements, de renoncements et d’angoisses :
- Moment prénéofasciste ?
- Néolibéralisme autoritaire assumé et institué ?
- Ou vieux monde qui ne veut pas mourir, certes propice à l’émergence de monstres, mais définitivement hors-sol et condamné au tombeau ?
La parole politique et médiatique, elle, ne semble pas avoir peur du vide. Elle s’engouffre dans les brèches et se vante de « briser des tabous» alors qu’elle n’ajoute le plus souvent que des bruits de clashs aux bruits de fond. Elle banalise, elle triangule, elle propage.
Banalisation constante, d’abord, du vocabulaire de l’extrême droite et de la pensée rance, repris ad nauseam dans les médias, de CNews à Europe 1, avant de se répandre dans l’espace public. Y compris dans certains médias du service public, paraissant se conformer au mot de Jean-Luc Godard lorsqu’il moquait la façon dont les « débats » sont trop souvent posés : « Cinq minutes pour les juifs, cinq minutes pour Hitler ».
Triangulation permanente, ensuite, du nom de ce procédé consistant à faire siens les références et les mots de ses concurrents, de quelque bord de la géographie politique qu’ils se trouvent, pour mieux les vider de leur sens, au risque assumé de la confusion. Une technique devenue la marque de fabrique d’Emmanuel Macron depuis sa campagne victorieuse de 2017, pendant laquelle il prétendit aussi bien s’approprier Jean Jaurès que la «tolérance zéro» imaginée par le faucon Rudy Giuliani.
Propagation incessante, enfin, de ce que l’éditeur Éric Hazan a nommé la LQR, langue de propagande du néolibéralisme, ou de ce mélange d’euphémisme, d’antiphrases et de contre-vérités que décrit l’écrivaine Sandra Lucbert dans son ouvrage consacré au procès Orange. Et dont un dernier exemple pourrait être le programme Bienvenue en France, qui consiste à augmenter les frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers…
Le camp réactionnaire a finalement choisi moins de mener une véritable «bataille culturelle» (ce serait donner beaucoup de crédit à de telles pratiques) que de déclencher des conflits sur les mots (« wokisme », « croissance verte », « séparatisme », « cancel culture ») pour ne surtout rien changer, sinon en pire, à un réel déjà insoutenable. Rendez-vous dans les urnes pour voir si la stratégie aura porté ses fruits.
Edito, Revue « Le Crieur » N° 20