Le pharmaceutique privé, servi en aides d’état

Objectif… aider les labos privés alors que la pandémie de la Covid a rempli les caisses et démontré qu’il fallait remettre en place une industrie pharmaceutique nationalisée… Ah ! oui, mais…

… « relocaliser la production de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur dans le domaine cardio-vasculaire », explique au « Canard » le cabinet de la ministre Agnès Pannier-Runacher. Et de préciser la liste des cinq médicaments concernés : « Vastarel, Coversyl, Fludex, Triplixam, Preterax. »

Problème : deux de ces médocs prétendument indispensables à la France sont jugés complètement nuls (voire dangereux) par la Haute Autorité de santé (HAS).

En février2022, le gouvernement a annoncé une nouvelle vague de subventions à 72 entreprises fabriquant des produits stratégiques. Parmi les heureux élus : le groupe Servier. Le fabricant du Mediator, qui, l’an dernier, a réalisé un modeste chiffre d’affaires de 4,7 milliards d’euros, aura droit à un cadeau bien mérité de 800 000 euros.

Bénéfices bien cachets

Dans un avis rendu le 4 septembre 2019, celle-ci a estimé que le Triplixam, une pilule contre l’hypertension, présentait « un service médical rendu insuffisant pour justifier d’une prise en charge par la solidarité nationale ». Ce médoc n’est donc même pas remboursé ! Pas grave, la « solidarité nationale » est en marche…

Pour le Vastarel, c’est pire encore : « Ce truc est une imposture, c’est délirant de financer sa production ! » s’étrangle la toubib Irène Frachon, lanceuse d’alerte sur le Mediator.

En 2011, la HAS avait rendu un avis cinglant : non seulement ce traitement contre l’angine de poitrine ne peut se targuer que d’une efficacité « faible », mais il présente « des risques de survenue d’événements indésirables graves, neurologiques et hématologiques ». Déremboursé depuis dix ans, le vieux médoc est vilipendé depuis des années par la revue médicale « Prescrire », qui juge « regrettable » qu’il soit « toujours commercialisé ». C’est peut-être nul, mais c’est français, môssieur !

Ministère très hospitalier

Les autres produits de Servier aimablement soutenus par Bercy traînent, eux, d’autres casseroles. Pour le Coversyl (antihypertenseur), Servier, en 2018, a été condamné par Bruxelles à 228 millions d’euros d’amende pour avoir tenté d’empêcher les fabricants de génériques d’arriver sur le marché…

Quant au cas du Fludex, il fait aussi bondir Irène Frachon : « C’est un antihypertenseur, mais surtout un diurétique, ce que Servier a nié pendant des années. Comme les médecins ne le savaient pas, il y avait des risques de complications graves. » Tout est oublié !

Face à cet ébouriffant tableau, le gouvernement ne se démonte pas : « Ce ne sont pas les médicaments qui sont financés mais le projet d’augmentation des capacités de production. » Nuance.

Lesdites capacités vont passer « de 214 millions de boîtes sur le site de Gidy (Loiret) à 300 millions de boîtes en 2025 ».


Isabelle Barré. Le Canard Enchainé. 23/03/2022