La culture : inconnue de la macronie

À force de laisser l’Élysée dicter sa conduite, le ministère de la Culture a perdu le rôle moteur qui lui avait été assigné.

A-t-il encore un sens ? Oui, à condition de porter de nouveau un projet de société.

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Mai 2020 : au plus fort du confinement et de la crise Covid, le président de la République, en bras de chemise, s’entretient avec un aréopage d’artistes tandis qu’à ses côtés son ministre de la Culture, Franck Riester, muet, prend des notes.

L’image est éloquente : le patron, c’est Emmanuel Macron. Deux mois plus tard, Roselyne Bachelot s’installe à son tour rue de Valois.

Depuis 1993, date à laquelle Jack Lang a quitté ses fonctions après dix ans d’un règne quasi ininterrompu, quatorze ministres de la Culture ont été nommés, puis remerciés, par les gouvernements de droite comme de gauche.

Autant dire que la place est instable, à l’image d’un ministère dont le pouvoir, le charisme et la pertinence sont sujets à caution. Est-il encore capable d’être « l’instigateur d’une politique culturelle porteuse d’un élan » ?, s’interrogeait en décembre 2021 un rapport assassin de la Cour des comptes.

S’il ne veut pas être un jour rétrogradé au rang de simple secrétariat, il ferait bien de se ressaisir. « Même si les arbitrages budgétaires pendant la pandémie ont donné l’impression d’un soutien fort de l’État, le ministère a pris conscience de l’insuffisance de son poids politique », note le sociologue Emmanuel Wallon.

En quête d’un nouveau souffle

Pris de vitesse par les collectivités locales qui lui tiennent la dragée haute grâce à l’apport de leurs subventions, soumis aux oukases de Bercy, englué dans la bureaucratie, fragilisé par le va-et-vient de ses locataires, le ministère « se tient en retrait au lieu d’impulser les dynamiques ».

Pour Laurent Bayle, ex-président de la Philharmonie de Paris, il « est celui qui court derrière » : derrière de belles idées qu’il n’incarne plus et des créateurs qui se méfient de lui ; derrière une légitimité et une autorité qui le fuient à mesure de ses renoncements aux fondements du service public. Dans notre République, tout comme l’école et la santé, la culture subventionnée n’a pas à être rentable. Un principe entaillé depuis qu’en 2008 Christine Albanel, ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy, a soumis les institutions publiques à des impératifs de remplissage.

Le spectacle vivant est sommé d’afficher des salles pleines. Son rapport au public en a été changé. D’autant qu’en 2015 ont été inscrits dans la loi NOTRe des « droits culturels » qui reconnaissent à chaque personne son identité culturelle, quelle que soit son origine, ainsi que son droit légitime à la faire découvrir ou à la voir représentée.

L’offre des collectivités se construit désormais avec ce que sont et ce que veulent les habitants. Un nombre croissant d’établissements artistiques font de même avec leur public. « Avec Malraux, l’œuvre était au centre, avec Lang, l’artiste. Aujourd’hui, nous disent les droits culturels, voici le temps des personnes. Les politiques emboîtent le pas. L’État également, qui n’a plus de pensée sur ce qu’est l’art ni de projet politique, et se contente de nommer des directions, tel un super programmateur », fustige l’écrivain Olivier Neveux.

Hélas, le ministère n’a plus le loisir de se montrer imaginatif. « Depuis quelques années, il connaît beaucoup de réformes internes. Elles représentent beaucoup de réunions, de notes de service et de temps perdu », analyse Emmanuel Wallon.

À ce remue-ménage structurel chronophage s’ajoutent des mesures qui embellissent la vitrine : multiplication des labels, nominations à la tête des lieux, application d’un pass Culture téléguidé par l’Élysée, autant de décisions qui masquent une impuissance de fond.

Le ministère perd la main et de grands établissements publics, comme le Louvre ou Versailles, s’émancipent de son giron.

Voici le ministère réduit au rôle du gendarme. Charge ingrate que relaient ses antennes déconcentrées, les Drac (Directions régionales des affaires culturelles). Évaluations, bilans, rapports d’activité : les institutions, les compagnies, les artistes ploient sous la masse des documents à remplir. Ce qui accentue leur rejet d’une administration parisienne obsédée par les chiffres.

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Nouveaux canaux de diffusion

La démocratisation peut revivifier le partage de l’art et de la culture si, aidée par le ministère, elle opère une mue : « Le schéma classique de diffusion et production de spectacles ne fonctionne plus. Il pousse les artistes à toujours produire plus. On arrive dans le théâtre pour en repartir aussi vite, les rencontres n’ont pas lieu avec les équipes et le public », s’insurge Thomas Jolly. Directeur du Quai à Angers, ce metteur en scène aimerait répondre à un cahier des charges moins formaté. Il le préférerait « pensé par l’artiste » en cohérence avec sa « Le numérique est un outil dont il faut se servir. » En 2022, les voies de la démocratisation sont immatérielles.

Pourquoi aucun candidat à la présidentielle n’a-t-il jamais encore évoqué les arts et la culture ? Importent-ils si peu à notre vie publique comme à nos existences privées, à notre démocratie comme à nos rêves intimes ? Une fois encore, la culture reste la grande absente de la campagne présidentielle, alors que dans les périodes terribles que nous traversons, elle pourrait nous faire penser autrement, élargir nos horizons, nous grandir.


Joëlle Gayot. Télérama. Titre original : « Présidentielle : comment réveiller la Culture ? ». Source (Extraits)


Une réflexion sur “La culture : inconnue de la macronie

  1. bernarddominik 23/03/2022 / 12h39

    Le gouvernement gouverne-t-il ?
    J’en doute.
    Il se tape juste les problèmes techniques comme la publication au JO même le décret d’application vient de l’Élysée.
    C’est contraire la constitution, mais le CC de Fabius et Juppé ne l’a peut-être même pas lue.

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