Au moment…

… où Mélenchon monte dans les sondages, il n’est pas inutile de se poser quelques questions.

Est-il sincère? Est-il crédible? Jean-Luc Mélenchon est-il écologiste?

Commençons par un exemple lointain, mais crucial : la Chine.

Quiconque suit l’affaire sait que le capitalisme fou de cet État totalitaire a détruit un grand nombre de ses écosystèmes. Des milliers de cours d’eau surexploités ont simplement disparu de la carte (1). La déforestation provoque de tels nuages de poussière poussés par le vent qu’une ville comme Pékin est menacée d’en être proprement submergée.

Les « villages du cancer », comme les appellent les écologistes chinois (mais si ils existent), sont des centaines, peut-être des milliers aux abords des usines pétrochimiques.

Mais la Chine est aussi devenue, sans que nul ne le dise, un pays impérialiste. Près de 20 % de la population mondiale, mais seulement 7 % des terres arables, et des millions de nouveaux riches qui veulent de la viande, plus que chez nous encore.

Il faut donc coloniser, et s’emparer de nouvelles ressources. Des pays comme le Cambodge et le Laos vont se sont changés en États fantoches, aux mains des financiers chinois.

En Afrique, leur fric est partout, construisant routes, ponts, ports, chemins de fer, et corrompant partout où il passe, détruisant les forêts et aspirant le gaz et le pétrole. Accaparant des millions d’hectares de terres. La Chine afrique a depuis longtemps dépassé la sinistre Françafrique de papa Foccart. Même la France est touchée, qui exporte massivement ses chênes là-bas, comme Madagascar le fait avec son bois de rose.

Mélenchon, qui ne s’intéresse pas à de tels détails, défend la Chine. Le million d’Ouïgours enfermés dans des camps, les tortures, les assassinats? Pour lui, ce n’est jamais qu’« une répression que fait le gouvernement chinois contre les organisations islamistes ouïgoures ».

Quant au Tibet, envahi par l’armée chinoise en 1950, colonisé, et dont la culture est écrasée, il aurait en fait été « libéré » de la théocratie. Et il va plus loin encore en vantant le modèle. Dans une interview éclairante (2), il déclare sans états d’âme : « Je considère que [le développement chinois] est une chance pour l’humanité. […] Je trouve stimulant et intéressant de voir comment la planification a été un outil de développement.» Heu, qui le prévient que la Chine est devenue l’agent majeur de la destruction accélérée du monde ?

Heureusement, il y a le reste. Mélenchon est un visionnaire.

Depuis dix ans déjà, il va répétant sa foi dans l’avenir technologique des sociétés humaines. Il n’a pas lu Ellul et Charbonneau, les merveilleux analystes du « système technicien (3) ». Mais qu’a-t-il lu ?

Dans un entretien affriolant avec le journaliste Hervé Kempf (4), il livre le nom du grand penseur de l’écologie. De son grand penseur à lui : le pauvre Main Lipietz, ci-devant petit chef des Verts, dont on cherchera en vain la moindre contribution dans ce domaine.

Mais il y a de grandes pistes, toutes prometteuses. Et d’abord, l’espace. Mélenchon en est resté aux illustrés de son enfance. À Paris Match : « Quand j’étais gamin, je découpais et je collectionnais les articles sur la conquête de l’espace. Je crois que j’ai encore dans ma cave un cahier où j ‘avais collé fiévreusement les exploits de la chienne Laïka et de Youri Gagarine. »

Sur son blog, en 2019: « L’exploration spatiale a d’ores et déjà amené sur terre beaucoup de bienfaits. Elle a contribué à des avancées majeures […]. Elle a également permis le développement des ordinateurs modernes et de nouveaux services comme la téléphonie mobile. »

Au cours du meeting « immersif », ultra technologique, de janvier, à Nantes, l’amoureux des satellites vante au milieu d’images de synthèse ces « milliers d’applications dans nos poches qui dépendent de l’espace: météo, GPS, cartographie et surveillance écologique des traités internationaux ! ».

C’est donc très bien. Qu’importe la réalité. Qu’importe que l’espace soit devenu une décharge industrielle pleine de millions de déchets tournant autour de la Terre. Que Musk lance des milliers de satellites qui empêcheront beaucoup d’observations astronomiques. Pas grave. C’est le rêve qui compte.

Et de même pour la mer, que Mélenchon présente si gentiment comme le territoire à occuper d’urgence. Dès 2012, dans un discours scientiste digne d’un Science & Vie des années 50 du siècle écoulé, il désigne l’océan mondial comme « la dernière « terra incognita » de la planète ». Une terre de conquête. Lui : « Je compare cette ambition que je propose à celle qui nous a permis de devenir une puissance spatiale. » Lui toujours : « Rien n’est hors de portée pour nous […] La mer est notre nouvel espace de réussite et d’exploits scientifiques et techniques ! »

Pas un seul mot sur l’état réel des mers. Pas un mot sur leur acidification. Pas un mot sur la pêche industrielle, et donc les risques d’extinction pesant sur tant d’espèces. Pas un mot sur le Great Pacific Garbage Patch et ses semblables, ces incroyables amas de déchets en plein océan, de la taille d’un continent.

Pas un mot sur ces dead zones – des zones mortes – touchées par l’anoxie, c’est-à-dire la quasi-disparition de l’oxygène. Pas un mot sur les colossales diminutions de plancton constatées partout. Non, car il s’agit d’industrialiser encore, à coups d’éoliennes en mer, à coups d’hydroliennes (machines qui produisent de l’énergie grâce aux courants marins), à coups de centrales « houlomotrices ». La mer sera conquise, de gré ou de force.

Sortons maintenant de France, et regardons plutôt ce qui se passe au Venezuela, patrie de l’immortel Hugo Rafael Châvez Frias, grand ami de Mélenchon s’il en est. En 2009, au cours de la funeste conférence de Copenhague sur le climat, Châvez entend devenir el comandante de la lutte contre le dérèglement climatique.

Il clame et tonne, comme le défunt Nikita Khrouchtchev brandissant sa chaussure à la face de l’ONU, en 1960. Extrait : « L’activité humaine actuelle […] met en danger la vie sur la planète. » À peine rentré à Caracas, il relance les fructueux contrats pétroliers à destination de cet empire américain si constamment décrié, permettant que l’on vende dans les rues de l’essence à 0,017 euro le litre. Et rien ne sera fait. Si : avant de mourir, Châvez envisageait sereinement d’exploiter les centaines de milliards de barils de pétrole cachés dans les sables du bassin de l’Orénoque. Faisons confiance à Maduro, son successeur, pour passer à l’action. S’il ne s’est pas avant enfui à Miami. La boliburguesia (cette bourgeoisie bolivarienne qui a tant volé d’argent pétrolier à son peuple) ne sera jamais rassasiée.

Idem en Équateur, lorsque Rafael Correa, encensé par Mélenchon et chantre de la « révolution citoyenne », régnait encore. En 2013, cet écologiste lui aussi autoproclamé obtient d’un Parlement à la botte le droit d’exploiter une nappe de pétrole sous le parc national Yasuni, réserve de biosphère de l’Unesco, où vivent 696 espèces d’oiseaux, 2 274 d’arbres, 382 de poissons, 169 de mammifères. Dommage pour ces arriérés d’Indiens huaorani, qui se considèrent comme des fils du jaguar et qui avaient arraché des droits sur cette forêt unique.

Mélenchon est-il si différent de Correa ?

D’évidence, il est resté un productiviste. Il est bien possible qu’il se voie comme un écologiste, et pourquoi pas, puisque des Jean-Vincent Placé, des Pascal Canfin, des Barbara Pompili le sont ?

Mais la pensée écologiste vraie existe tout de même. Et elle repose sur une rupture mentale qui suppose l’acceptation des limites. L’homme doit accepter de reculer avant que tout ne soit totalement consumé. Il doit accepter le grand partage avec ce qui n’est pas lui.

Les mers appartiennent aux écosystèmes, pas aux rêveries de pacotille.

L’espace appartient au grand mystère des origines et ne doit pas être soufflé, mais, au contraire, nettoyé des vomissures humaines.

L’homme doit apprendre la leçon qui commande toutes les autres : il est un élément. Puissant, parfois formidable, mais un élément seulement d’un ensemble qu’il s’acharne à ruiner.

Écologiste, Mélenchon ?

Dans ses envolées si peu lyriques, il ajoute aux terres de conquistadors que sont pour lui l’espace et la mer, le numérique.

  • Faut-il l’avertir que la numérisation du monde détruit les chances de la démocratie ?
  • Que la vitesse extrême – et binaire – d’Internet est un problème politique majeur ?
  • Que la lenteur est une nécessité vitale pour la discussion, l’élaboration, la décision commune ?
  • Que ce système annonce la surveillance simultanée totale de toutes les activités humaines?
  • Que les data centers qui stockent des milliards de milliards de milliards de données pourraient bouffer jusqu’à 13 % de l’électricité mondiale en 2030, dans huit ans?

Mais c’est avec les jeux vidéo, sous-ensemble lilliputien du numérique, que Mélenchon atteint au sublime.

Pour lui, « c’est un instrument magique de formation et de culture ». Mais il faut se battre, et, dit Mélenchon en 2017, « moi, je propose qu’il y ait un centre national du jeu vidéo, comme il y a un centre national du cinéma. Et e vous garantis que si je suis élu, je mettrai le paquet pour que cette filière existe en France, pour qu’elle se développe ».

Pardi! Le jeu vidéo, « ce n’est pas puéril, le comportement du jeu, c’est structurant de l’imagination humaine. On commence tous par jouer pour se construire en tant que personne ». Quant aux grincheux, il s’agit de « clouer le bec à ceux qui ont du mépris, pour le jeu. […] On croirait que jouer c’est perdre son temps, eh bien pas du tout. Jouer, c’est même gagner du temps puisque l’on peut s’enrichir humainement ».

Bon. En 2019, le docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) Michel Desmurget publie au Seuil La Fabrique du crétin digital. S’appuyant sur 1500 études de haut niveau -1500-, il montre avec clarté que les écrans, à commencer par les jeux vidéo, dégradent en profondeur le cerveau des enfants.

Au programme ce soir, troubles du sommeil et de la concentration, obésité, agressivité, chute de la créativité et des résultats scolaires, dépression, conduites à risque, etc. Desmurget : « Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle. »

Un dernier avis gracieux à Mélenchon : ce sont les enfants du peuple qui morflent le plus. Toutes les études montrent que moins on a de fric, plus on passe de temps à se cramer le cerveau devant Grand TheftAuto, Mortal Kombat ou Super Mario, jeux qui se vendent par millions.

La Chine qu’aime tant Mélenchon comptait en 2021 14 000 entreprises de jeux vidéo. Mais elle a décidé d’imposer à ses jeunes trois heures de ces jeux au maximum par semaine. Pourquoi ?

Comptons sur Jean-Luc Mélenchon pour nous l’expliquer. Des armées de zombies et de crétins pour faire face à la crise écologique? Ça va être difficile.


Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo. 02/03/2022


  1. archive.internationalrivers.org/resources/almost-28-000-rivers-disappear-in-china-8009 (en anglais).
  2. french.peopledaily.com.cn/Chine/7986663.html
  3. Le Système technicien, un livre formidable de Jacques Ellul (éd. Calmann-Lévy, puis réédité au Cherche Midi en 2012).
  4. reporterre.net/Jean-Luc-Melenchon-L-ecologie-doit-etre-un-stimulant-d-enthousiasme

Note : si certaines remarques sont, à notre humble avis judicieuses, l’ensemble de l’article ne saurait convenir à la pensée de l’administrateur. Mais respectons l’info. MC


3 réflexions sur “Au moment…

  1. bernarddominik 15/03/2022 / 8h25

    Qui croire?

    • Libres jugements 15/03/2022 / 11h25

      Bonjour, Bernard.
      J’ai fréquenté ce mouvement-parti politique pendant près de 10 ans et ai dû batailler (toujours oralement heureusement) lors de plusieurs types d’élections avec leurs adhérents prosélytes envers le statufié Jean-Luc.
      Ainsi seul comptait la mise en place et les déclamations péremptoires du personnage, tel un messie politique auprès duquel il aurait été de bon ton de s’agenouiller et si nous n’étions pas d’accord avec des aspects litigieux de son programme, nous recevions les vitupérations et le plus souvent des chantages électoraux du genre si vous faites cela, nous mettrons un candidat en face de vous pour vous faire perdre… oui je sais, c’est l’entourloupe policarde, juste qu’avec les adeptes du monsieur, c’est pire qu’avec des opposants…

      Alors s’entendre avec Mélenchon, pour ma part, c’est non parce que ce n’est qu’un arriviste extrémiste occultant tout autres pensées que la sienne… De plus il en a changé si souvent que cela ne fait pas une certitude de respect des votes pour un programme proposé au jour J. Voir Hollande dans ce même genre d’exercice !
      Cordialement,
      Michel

  2. luc 15/03/2022 / 11h38

    Bonjour Michel,
    Ce Mélenchon n’est qu’un parmi d’autres et qui nous rappelle ce que disait un surréaliste : quand on a été trotskiste, il en reste toujours des kystes.
    Bien cordialement,
    Luc

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