Le plus puissant de tous les mots

L’Europe bouge encore.

Après des décennies de dysfonctionnements, de directives absurdes, d’hésitations et d’échecs, on avait fini par se convaincre qu’elle n’était qu’un machin de plus, comme disait le général de Gaulle de l’ONU. Les nationalistes et les souverainistes, qui n’ont jamais cessé de dénigrer l’Union européenne, au point de vouloir en sortir, comme la Grande-Bretagne, se sont délectés pendant des années du spectacle laborieux qu’elle donnait sur la scène internationale.

Derrière les critiques féroces dirigées contre cette institution compliquée, c’était en réalité la démocratie qui était montrée du doigt : incapable de diriger, de prendre des décisions ou de se faire respecter.

C’est ce que les fascistes comme Poutine pensaient aussi : la démocratie est un régime minable, faible et décadent, et le despotisme lui est supérieur parce que viril et sans états d’âme. C’est toujours comme ça que raisonnent les petits voyous, dans leurs quartiers ou dans les cours de récréation. Celui qui met des baffes aux plus faibles est donc le plus fort.

Mais les gosses, ça grandit, et une fois adulte, le gringalet qui se prenait des tartes dans la cour de récré s’avère plus grand et plus costaud que celui qui le martyrisait autrefois. C’est un peu l’impression que donne aujourd’hui l’Europe face à Poutine.

Le voyou Poutine n’a cessé de menacer et d’intimider ses voisins, convaincu que l’Europe ne serait jamais rien d’autre qu’une fiotte qu’il pourrait continuer de mépriser comme il l’avait toujours fait.

Depuis la semaine dernière, Poutine et les Européens eux-mêmes découvrent qu’ils s’étaient trompés. En quelques jours, des pays qui faisaient le dos rond dès qu’ils sentaient passer le vent du boulet se sont transformés en machines de guerre prêtes à envoyer des armes à l’Ukraine, pour repousser les armées de Poutine.

Le plus petit dénominateur commun

  • Pourquoi un tel revirement ?
  • Est-ce l’orgueil, une lucidité retrouvée, un sursaut de fierté et de courage ?

On avait oublié que beaucoup de pays membres de l’Union européenne ont, à un moment donné de leur histoire, subi la tyrannie. Comme la Hongrie, écrasée par les chars russes en 1956, ou la Pologne, dont les élites militaires furent liquidées par Staline à Katy, presque tous les peuples d’Europe ont payé le prix de la dictature et de la répression. Et contrairement à ce qu’on avait pu penser avec une pointe de condescendance, l’adhésion à l’UE des anciens pays de l’Est n’était pas motivée uniquement par les subventions. On en avait fini par oublier que la liberté est le bien le plus précieux de l’être humain et qu’elle constitue le socle sur lequel l’Europe s’est construite depuis soixante-dix ans.

La liberté n’est pas un vain mot et devient brutalement réalité quand pointent au bout de votre rue des colonnes de chars russes venus vous réduire en esclavage. Poutine et tous les théoriciens de la décadence de la démocratie ont fini par croire à leur fable et à leurs mensonges. « Liberté » est le mot le plus puissant qui existe. À défaut de déplacer des montagnes, il fait se déplacer des peuples et des combattants pour se dresser contre l’envahisseur.

Les Européens ont redécouvert la semaine dernière que le mot « liberté » est le plus petit dénominateur commun qui les unit, en dépit de leurs conceptions politiques parfois opposées. Comme les islamistes qui ont attaqué l’Europe ces dernières années, Poutine était convaincu que la démocratie est un régime pourri de l’intérieur et qu’aucun de ses ressortissants n’oserait risquer sa vie pour la défendre.

Ces prétentieux connards vont comprendre que ce sont eux les lâches et qu’ils devront rendre gorge pour leurs crimes. Il aura cependant fallu que le peuple ukrainien se retrouve en première ligne et paye le prix du sang pour faire enfin sortir l’Europe de sa léthargie, en redonnant vie au plus puissant de tous les mots.


Edito – Riss. Charlie Hebdo. 10/03/2022


10 réflexions sur “Le plus puissant de tous les mots

  1. bernarddominik 10/03/2022 / 15h54

    L’UE ce n’est pas la démocratie, tout se décide dans d’obscurs cabinets dirigés par des commissaires nommés après d’obscures tractations, où les lobbies des grands groupes financiers ont un pouvoir aussi puissant qu’invisible utilisant la corruption jamais punie, le parlement n’est qu’une caisse enregistreuse. Non l’UE ce n’est pas la démocratie.

  2. bernarddominik 10/03/2022 / 15h58

    Je rajouterai oui l’UE c’est la liberté, la liberté de se faire b…. par la finance internationale.

  3. bernarddominik 10/03/2022 / 16h05

    Il ne faut pas croire que parce que Poutine est un dictateur que l’UE est une sainte. Il faut arrêter de nous présenter de même l’Ukraine et Zelensky comme des parangon de vertus. Cette guerre est une guerre d’influence voulue par Biden et Poutine, ils règlent leurs comptes avec la complicité de Zelensky et son gouvernement sur le dos des ukrainiens. Zelensky commence à lâcher du lest il sait probablement que son armée est au bout de ses possibilités, il a joué au poker avec Biden et Poutine mais il ne fait pas le poids.

  4. luc nemeth 10/03/2022 / 19h02

    Attention, tout de même, au triomphalisme : ceux qui nous gouvernent peuvent très bien trouver avantage à s’unir (au moins momentanément) dans une structure commune, mais sans que leur célèbre amour de la liberté ne s’en trouve renforcé pour autant ! Riss peut bien raconter ce qu’il veut : le sale-teint-banques Macron et sa clique seront toujours dans le camp de l’ennemi pour tous les hommes libres, et même, pour toutes les femmes libres…

  5. Pat 10/03/2022 / 19h52

    Sans doute la liberté est-elle puissante car elle a été beaucoup attaquée depuis quelques temps, même en Europe, mais la meilleure façon de la défendre serait de montrer au reste du monde que l’union peut assurer le bonheur à l’ensemble de sa population et il reste bien du travail à faire. Il est peut-être positif de penser qu’une guerre puisse aider à cela mais si tel est le cas c’est bien triste de penser au prix payé par les victimes… dans tous les camps.

  6. Maryse 10/03/2022 / 22h39

    Alors l’Europe est démocratique, depuis quand ?
    Après des siècles de colonisation en Afrique ? En Amérique ? Si Poutine demandait aux Mexicains d’installer des missiles pointés vers les États-Unis, ce serait le tollé. Et L’OTAN et les États-Unis, eux, veulent en étaler encore davantage, vers la frontière russe, au lieu d’accepter une zone neutre entre l’Ukraine et la Russie, comme proposé auparavant.
    Oui, il y a des nazis en Ukraine. C’est d’ailleurs le Président Truman, après la seconde guerre mondiale, en bon Juif, qui a fait venir des milliers de scientifiques nazis pour œuvrer chez lui, sans jugement contre eux !
    Ce sont des faits, pas des fausses nouvelles. Et si dans Charlie Hebdo on avait caricaturé un rabbin, de la même manière que le prophète de l’Islam, ce journal aurait été banni depuis longtemps!

    • luc 11/03/2022 / 11h30

      ah bon ?
      alors, comme ça : Harry Truman était juif ?
      ah mais, c’est que : elle est « drôlement » « intelligente », la pas mieux identifié Maryse -et avec ici des guillemets à « drôlement », et à « intelligente » !
      Non seulement, Truman n’était pas juif -ni de près ni de loin- mais il était : notoirement antisémite.
      Encore la faute à pas d’chance, pour Maryse et les gens de la même mouvance…

    • Libres jugements 13/03/2022 / 10h40

      Poutine l’a montré à plusieurs reprises, il est loin d’être un démocrate pas plus que de gérer la Russie en tant que tel, oui, c’est un dictateur autant que d’autres en Pologne, Argentine, et même d’une certaine manière en France.
      Oui, derrière l’Otan, il y a la volonté hégémonique de commerce et finance internationale liée aux USA et quelques pays notamment vendant de l’armement.
      Oui, derrière la mot guerre peut se cacher bien des buts : guerre sanitaire, guerre économique, guerre humaine, guerre ethnique, guerre idéologique, guerre géopolitique, guerre d’influence…
      Changerons-nous la nature humaine ?
      Devons-nous laisser faire, Non
      Mais, alors seul que pouvons-nous faire ?
      Qui, comment, au nom de quoi et pour quel but final, sera de l’aventure pour changer la mentalité des humains.

      Bon dimanche

  7. jjbadeigtsorangefr 11/03/2022 / 9h55

    Rejeter l’Europe pour ses défauts est un choix dangereux, il vaut mieux la transformer, en faire celle des peuples, avec à sa tête des élus sur un programme porteur d’avancées sociales…….et faisant de la paix un objectif commun.

  8. Gérard Mossé 24/03/2022 / 1h13

    Riss comme toujours met le doigt sur le point important, ici « la liberté » qu’il qualifie de « plus petit dénominateur commun » des européens, j’aurai dit plus grand, (comme PGCD) en référence avec ce mot qualifié de « plus puissant de tous les mots », ce qui m’amène à vous parler du livre de Mathieu Slama Adieu la liberté, sous-titré essai sur la société disciplinaire.
    Il semble que durant la pandémie du coronavirus, Charlie ai oublié la liberté comme le mot le plus puissant, Slama relate au début du dernier chapitre (Épilogue – Retrouver la République) un échange entre de Gaulle et Pétain, où Pétain place la vie comme la valeur la plus précieuse devant le prestige et l’honneur tandis que pour de Gaulle, l’honneur prime sur tout le reste, y compris la vie. La gestion de la crise sanitaire a placé la vie avant la liberté. L’honneur prime sur la vie (on le voit avec la guerre en Ukraine), il n’y a pas d’honneur sans liberté, il n’y a pas de solidarité sans liberté : la solidarité basée sur la peur du coronavirus n’en était pas une, elle n’a servi qu’à culpabiliser les opposants, les transformer en boucs émissaires. Autrement dit, la vie sans liberté, n’est que la « vie nue » de Giorgio Agamben, c’est la vie d’une personne sans liens sociaux, ce que vise la gouvernance managériale de l’entreprise dans un bassin d’emploi où le travailleur est un minerai comme dans un bassin minier, de même qu’on a pu parler de « minerai » dans un scandale passé impliquant de la viande de cheval. L’avant dernier chapitre est titré
    « La peur de la liberté ou l’idéologie du safe »
    Il est aussi question dans Adieu la liberté : de la biopolitique selon Foucault ; des sociétés de contrôle selon Deleuze ; de la servitude volontaire selon La Boétie ; de la gouvernance managériale de Macron ; du pouvoir biopolitique avec un Conseil Scientifique (non élu) sans opposition scientifique comme s’il y avait un consensus (ce qui n’est pas le fonctionnement de la science) scientifique (un opposant devenant si besoin un « charlatan » sinon un complotiste) ; du rôle des mots (covid, distanciel, confinement, attestation, résilience, vulnérabilité, responsabilité, vigilance – provoquant la délation des mauvais citoyens par les bons citoyens) ; du libéralisme ; du protestantisme
    Charlie ne semble pas avoir vu que le CoronaVirus pouvait amener une réflexion sur le CoranoVirus (Rebaptisé autoritairement covid-19 pour éviter le dérapage) car étant « en guerre » contre le coronavirus, cela pouvait amener à dire que nous l’étions en même temps contre le djiadisme corano-basé sur une lecture foireuse du coran qui se diffuse comme un virus.
    Une critique du livre de Mathieu Slama Adieu la liberté, de la part de Charlie m’intéresserait au plus au point, même si l’agression russe en Ukraine est prioritaire, car entre la gestion de la pandémie et la guerre il y a bien des liens comme la valeur de la liberté, la gestion de la peur…

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