Présidentielle : vue par un agronome

Cette campagne pour la présidentielle paraît bien « plombée » par la guerre en cours en Ukraine.

Alors que se tenait récemment le Salon de l’agriculture et où le Giec publiait son dernier rapport encore plus alarmiste que les précédents, les questions agricoles, alimentaires et climatiques me semblent en général, à part Fabien Roussel, avoir été trop peu évoquées par les candidats et les médias.

Pourtant, cette guerre n’est pas sans mettre en évidence les failles de notre agriculture, au vu de sa dépendance énergétique. Bien sûr, nos producteurs de céréales ont peut-être quelques raisons de se réjouir de la flambée actuelle des cours du blé. Mais ils ont aussi à subir une hausse brutale des prix des engrais azotés de synthèse (urée, nitrates et sulfates d’ammonium, etc.) dont la fabrication, en France et en Allemagne, est très exigeante en gaz naturel russe ou norvégien.

Nos éleveurs, qui alimentent surtout leurs animaux avec des graines, farines et tourteaux, ont toutes les raisons, quant à eux, d’être inquiets, puisque cette alimentation représentait déjà leur principale charge d’exploitation, avant même que n’intervienne cette hausse des cours.

Il faut savoir que la très forte dépendance de notre agriculture et de notre alimentation à l’égard de la consommation d’énergies fossiles ne résulte pas tant des besoins en carburant de nos tracteurs et de nos moissonneuses-batteuses que du recours intensif aux engrais de synthèse pour fertiliser les céréales et oléagineux destinés à notre nourriture et à celle des animaux. À quoi s’ajoute la très forte utilisation de pesticides produits par les industries pétrochimiques.

La question de savoir comment il nous faudrait faire évoluer nos systèmes de culture et d’élevage pour réduire cette dépendance énergétique n’est pas nouvelle et pourrait être davantage débattue lors de cette campagne. Cela devient d’autant plus crucial que notre approvisionnement en gaz naturel russe paraît désormais de moins en moins assuré.

Une des solutions serait de fertiliser nos sols en azote par la voie biologique, en intégrant davantage de légumineuses fourragères et alimentaires (luzerne, trèfles, lupin, féverolles, pois, haricots, etc.) dans nos rotations de cultures. Tous nos agriculteurs savent que ces plantes ne sont pas seulement capables de fournir des protéines végétales sans recours aux engrais azotés de synthèse mais contribuent aussi à fertiliser en azote les cultures qui sont implantées ultérieurement sur les mêmes parcelles.

La France serait donc bien inspirée de moins importer de graines et tourteaux de soja transgénique en provenance des Amériques et de rétablir sa souveraineté protéinique en produisant chez elle les légumineuses dont ont besoin sa population, ses bovins, ses porcins et ses volailles. Avec aussi pour effet de moins inciter à la déforestation au Brésil et en Argentine.

Au lieu de vouloir nourrir nos herbivores avec des rations riches en grains et tourteaux, pourquoi ne les élèverions-nous pas à l’herbe, en intégrant davantage de prairies, destinées au pâturage et à la confection de foin, dans nos assolements ?

Il est vrai que l’élevage à l’herbe de nos vaches, chèvres et brebis, est souvent dénoncé du fait que leur rumination occasionne des émissions de méthane, un gaz à effet de serre, et contribuerait de ce fait au réchauffement climatique global : « Pas très écolo ! » disent certains. Mais les choses ne sont pas si simples.

Les prairies permanentes destinées à l’alimentation de ces ruminants peuvent être en effet de véritables puits de carbone, puisque la décomposition et le renouvellement des racines d’herbes contribuent à séquestrer du carbone dans l’humus des sols.


[…] Marc Dufumier, agronome, professeur honoraire de l’AgroParisTech. Télérama – Source (Extraits)


4 réflexions sur “Présidentielle : vue par un agronome

  1. bernarddominik 07/03/2022 / 10h24

    Oui, une évidence, il faut changer notre modèle agricole.
    L’Europe impose 4% de jachère, nous avons une multitude d’espaces autrefois prés pour nos ruminants et aujourd’hui laissés à l’abandon. Déjà en revenant aux surfaces agricoles d’il y a 60 ans, on augmenterait au moins de 20% notre production et en plus en diminuant nos besoins en engrais azotés.
    Je connais en Provence de nombreuses fermes dont les terres sont à l’abandon et qui étaient cultivées dans mon enfance, avec un cheval et sans autres engrais que le fumier.

    • Libres jugements 07/03/2022 / 18h11

      Eh bien, vois-tu Bernard, je pense que le problème serait déjà en grande partie réglé si le travail des exploitants agricoles étaient rémunérés à sa juste valeur notamment au regard du temps qu’ils passent loin des 32 h et que d’autre part, les banques ne les pénalisent pas avec des prêts à taux exorbitants ou hypothéquant bâtiments et terres au moindre avancée d’argent.
      Cordialement,
      Michel

  2. Pat 12/03/2022 / 20h31

    Revenir à la sagesse des modes de production ancestraux est le cadet des soucis de nos élites qui veulent nous précipiter dans un monde nouveau de science omnipotente.

    • Libres jugements 13/03/2022 / 10h15

      Bien d’accord Pat en ce qui concerne l’agriculture… pour le reste l’évolution à parfois du bon même s’il est discutable sur la robotisation et le remplacement d’agent dans les services publics par l’utilisation intempestive du numérique ou des « plateformes » inabordables humainement.
      Bon Dimanche
      Michel

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