Fusion, entre vendeurs de minutes de pub.

TF1 — M6, la fusion qui crée la confusion…

… Niel, prétendant éconduit, dézingue le mariage. Comme Sarko pour le compte de Bolloré.

Auditionnés depuis plusieurs jours par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias, les milliardaires paradent. Et sortent la sulfateuse, à l’exemple, le 18 février 2022, de Martin Bouygues, principal actionnaire de TF1, et de son rival Xavier Niel, propriétaire du groupe Le Monde. Mais, au sein du milieu médiatique, le grand projet de fusion TF1-M6 provoque aussi d’autres remous, plus discrets ceux-là.

Le 2 février, au siège parisien de son holding, Martin Bouygues a reçu l’émissaire de Vincent Bolloré, l’un de ses grands concurrents des médias. Cet ambassadeur, qui était naguère son ami, c’est Nicolas Sarkozy. Confirmée au « Canard » par un proche du bétonneur, cette « rencontre de courtoisie » avait pour objectif de calmer les ardeurs belliqueuses de l’ex-président de la République, ulcéré par le mariage TF1-M6. Depuis plusieurs semaines, dans les dîners en ville, Sarko distille à profusion ses arguments anticoncentration. « Martin en est terriblement blessé », susurre l’un de ses proches.

Sortez les mouchoirs ! Que les noces soient célébrées ou non, il convient de ménager l’avenir. Des chaînes de télé et des radios vont changer de main, les rivaux d’hier peuvent devenir des partenaires commerciaux.

Pourtant, entre Bouygues, témoin de son mariage avec Cécilia, et Bolloré, qui lui prêta gentiment son yacht après l’élection de 2007, le coeur de Sarko… ne balance plus. Administrateur du groupe Lagardère, il se pique d’avoir joué les intermédiaires entre son « frère » Arnaud Lagardère et Vincent Bolloré.

Pluralisme sauce Bollo

«Il prend son rôle tellement au sérieux que, lorsqu’il évoque les affaires de Bolloré, il dit « nous » », raconte, hilare, l’un de ses interlocuteurs réguliers. En mars 2021, Vincent Bolloré s’est porté candidat au rachat du groupe M6-RTL, mais, son offre étant demeurée très in­férieure à celle de Martin Bouygues, il a été recalé. Entre-temps, Bollo a avalé Europe 1 et les journaux de Lagardère (« Paris Match », le « JDD »). Mais ces zakouski n’ont pas calmé l’appétit du patron zemmouriste…

Xavier Niel mène, lui aussi, une campagne effrénée contre la fusion. « La création d’un monopole, c’est extrêmement grave (…), un danger pour la démocratie », s’est offusqué le fondateur de Free durant son audition du 18 février. Il n’a pas hésité à pilonner l’Etat, et donc, indirectement, son pourtant ami Emmanuel Macron. Le Président, à ses yeux, est coupable d’avoir « viré » Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence, « parce qu’elle souhaitait faire son boulot normalement sur ce sujet ».

Un expert des médias avait déjà présenté l’union des deux chaînes comme une menace. L’objectif, « c’est de contrôler 75 % du marché de la publicité télévisuelle et d’augmenter les tarifs, tout en baissant ses dépenses en matière de production », soulignait Jean-Louis Missika dans « Le Monde » (6/2). Mais son objectivité est relative. Ex-salarié de Niel chez Iliad, le holding de Free, l’ancien adjoint d’Anne Hidalgo à la Mairie de Paris est visé par une enquête préliminaire pour avoir favorisé des projets immobiliers développés par… Xavier Niel.

Le piston des fistons

La pugnacité de ce dernier s’explique aussi par un revers de fortune. Pour la première fois, devant les sénateurs, il a confirmé avoir déposé une offre pour le rachat de M6 — en vain. Ricanement de Martin Bouygues : «Il n’avait qu’à être compétitif, s’il voulait la chaîne. »

Le trio Bouygues-Bolloré-Niel partage au moins une vertu cardinale : l’amour de la famille. Les deux premiers ont placé leurs fistons (Edward Bouygues, Cyrille et Yannick Bolloré) aux manettes de leurs groupes respectifs. Niel, lui, a casé son fils Jules, tout juste 20 ans, dans le fonds de dotation qui contrôle le capital du « Monde », « à la demande, précise-t-il, du pôle d’indépendance » — autrement dit des journalistes eux-mêmes.

Si c’est au nom de l’indépendance, alors…


Odile Benyahia-Kouider. Le Canard Enchainé. 23/02/2022


3 réflexions sur “Fusion, entre vendeurs de minutes de pub.

  1. bernarddominik 02/03/2022 / 12:52

    Ils nous prennent vraiment pour des idiots.
    Ils veulent tout et sont insatiables, les Bolloré les Niel les Bouygues.
    Ils convoitent tout le moins cher possible, puis jouent au mécano avec leurs achats reconstruisant au gré de leurs intérêts le petit monde des médias.
    Jusqu’au jour où les gilets jaunes sortiront les sulfateuses ?

  2. jjbadeigtsorangefr 02/03/2022 / 17:09

    La diversification de l’information est assurée avec ces trois ogres.
    Il ne restera que « Le Canard » et « l’huma » comme médias nationaux indépendants du fric…. Plus quelques petits journaux locaux peut-être…

    • Danielle ROLLAT 02/03/2022 / 19:01

      J’ajouterais, chers Amis, Charlie Hebdo sur la liste de Jean Jacques… compte tenu de l’affection particulière que je porte à ceux qui continuent de le faire vivre..

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