La chute d’un Uber…

Galère des auto-entrepreneurs affiliés à ce système bancal.

ESS La filiale française de Smart (entreprise Belge), plus grosse coopérative d’entrepreneurs salariés d’Europe, est au bord du redressement judiciaire. La faillite d’un modèle social […] pourtant si prôné par certains dirigeants de gouvernements et des chefs d’entreprises…

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Smart (Société mutuelle des artistes) voit le jour en 1998, en Belgique, avec pour ambition d’offrir « aux professionnels du secteur artistique des solutions pour inscrire plus aisément leur travail dans un cadre légal et leur garantir une meilleure Sécurité sociale ».

Onze ans plus tard, elle débarque en France. Sur le principe, rien de plus respectable : Smart s’adresse à ces dizaines de milliers de travailleurs indépendants (artistes, coursiers, journalistes, développeurs, etc.) qui en ont marre de jongler avec leur comptabilité et aspirent à concilier sécurité et liberté.

La coopérative leur propose de les salarier et de leur offrir une large gamme de services : fonds de garantie salarial permettant un paiement des salaires à sept jours, quoi qu’il arrive ; couverture assurantielle ; accompagnement, etc.

En échange, les travailleurs doivent verser à l’entreprise 8,5 % de chaque facture émise. En quelques années, Smart connaît une croissance fulgurante, jusqu’à peser près de 170 millions d’euros de chiffre d’affaires en Europe, en 2020. Cette année-là, la coopérative aurait salarié 3 100 entrepreneurs en France.

Mais [le modèle de] créativité sociale développée par Smart ne plaît pas à tout le monde.

À l’été 2020, Pôle emploi tape du poing sur la table : l’entreprise n’a plus le droit de salarier des intermittents du spectacle, car l’agence estime qu’il s’agit d’une forme de portage salarial déguisé.

«  N’étant ni organisatrices ni productrices, ces sociétés ne fournissaient pas de travail aux intermittents qui, par ailleurs, font appel à leurs services pour la gestion administrative, ce qui revient à du portage salarial et n’est pas admis dans le domaine du spectacle », explique alors Pôle emploi (Télérama du 8 octobre 2020) .

Un spécialiste en droit du travail, qui s’intéresse à l’entreprise, ne mâche pas ses mots : « Ils me font penser à la multinationale Uber ! Pour moi, leur stratégie de développement est similaire : ils arrivent dans un pays en imposant un modèle social flirtant avec les limites du droit, avec l’ambition de grossir jusqu’à devenir incontournable… et donc d’échapper à toute forme de critique de la part des autorités. Ils n’avaient pas prévu la riposte de Pôle emploi. »

En attendant, cette sanction a privé Smart d’une partie de son chiffre d’affaires, plombant des caisses bien peu garnies.

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Les chiffres donnent le vertige : environ 1,1 million d’euros de pertes en 2017, puis 765 000 euros en 2018 ; 1,4 million en 2019 et 2,3 millions en 2020. Une expertise au vitriol, réalisée sur les comptes de Smart, fustige un « système de gestion archaïque » et un dérapage dangereux des charges d’exploitation (dont des achats de services…) qui menacent la survie même de l’entreprise. Et laissent présager du pire.

En décembre 2021, la direction annonce la suppression de 63 postes parmi les employés permanents de la coopérative, soit la quasi-totalité des effectifs (70 personnes environ). Un carnage social qui se double d’une manœuvre douteuse : la maison mère belge refuse de financer le PSE, réduit du coup à la portion congrue au vu de l’état des finances de la filiale française.

Las ! L’administration n’est pas de cet avis : dans un courrier daté de janvier 2022, la Dreets (ministère du Travail) rappelle à la direction que les moyens mis en œuvre lors d’un PSE doivent s’apprécier à l’échelle du groupe. Et qu’il convient donc de proposer un congé de reclassement aux licenciés.

« Nous exigeons de la maison mère qu’elle finance un plan social à la hauteur ! assène Aurélien Alphon-Layre, délégué syndical chez Smart. La somme serait comprise entre 2 et 3 millions d’euros, soit entre 1 % et 2 % du chiffre d’affaires belge : cela ne paraît pas déraisonnable pour 70 vies humaines. Au lieu de cela, le groupe semble avoir décidé de placer sa filiale française en redressement judiciaire, pour échapper à ses obligations. » Une audience devant le tribunal de commerce de Lille doit se tenir, lundi 28 février, pour examiner la demande de mise en redressement.

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Une chose est sûre, le système Smart n’aura pas fait que des malheureux : selon nos informations, la rémunération de la dirigeante du groupe, Anne-Laure Desgris, atteint 173 356 euros brut par an… soit la bagatelle de 14 445 euros par mois.


Cyprien Boganda. Titre original : « La chute d’un Uber de l’économie sociale ». Source (extraits)


2 réflexions sur “La chute d’un Uber…

  1. bernarddominik 26/02/2022 / 08:21

    Oui la dernière phrase montre bien combien d’astucieux compères font leur choux gras des failles de notre système social

  2. jjbadeigtsorangefr 26/02/2022 / 09:41

    Contourner les règles du code du travail, échapper aux cotisations sociales, à l’impôt,…. tel est le sport favori des tenants du fric.
    Les gogos s’y précipitent et s’étonnent de se faire plumer, finissent par se tourner vers les pouvoirs publiques pour obtenir un dédommagement.

    Pendant ce temps ceux qui ont vraiment profité du système ont déjà un plan de carrière assuré au travers d’autres manières de faire du fric en s’appuyant sur la crédulité humaine et le laxisme des pouvoirs publiques toujours prêts venir au secours de la machine à faire du fric.

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