Étrange comportement d’Ursula Von Der Leyen…

Questionnée sur une histoire de SMS échangés avec le laboratoire Pfizer, la présidente de la Commission européenne élude et s’en bat l’œil.

Rien ne semble déranger la présidente de la Commission européenne. Toujours élégante et sûre d’elle, Ursula von der Leyen vient de montrer une nouvelle fois son incomparable flair politique.

Dessin de Kirko-Canard 16/02/2022

Empêtrée dans l’affaire des SMS échangés en pleine pandémie avec le patron de Pfizer, Albert Bourla, désavouée par la médiatrice européenne, qui a estimé qu’elle devait rendre publics ces échanges alors qu’elle s’y refuse, elle vient d’annoncer l’annulation d’un débat prévu mercredi au Parlement. Rien de grave en soi, sauf que ce débat portait sur l’État de droit, particulièrement en Pologne, sujet sur lequel elle est régulièrement accusée d’une certaine tiédeur.

Motif de l’annulation ? La présidente de la Commission se rend en Allemagne pour assister à un « événement » organisé par… Pfizer.

Pour beaucoup de parlementaires, l’attitude de von der Leyen donne du grain à moudre aux complotistes et à tous les eurosceptiques. Qu’a-t-elle donc à cacher sur le processus de négociation avec Pfizer ?

Les soupçons sont d’autant plus forts que, lorsque le député européen Pascal Canfin avait pu consulter le contrat, il lui avait été demandé de se dessaisir de son téléphone portable, et le document qu’on l’a laissé feuilleter était abondamment biffé. Transparence, transparence… La députée néerlandaise Sophie in ‘t Veld, pourtant membre du groupe centriste (Renew) qui l’a fait élire, parle d’une Commission « fortement déconnectée de la démocratie européenne ».

Dans le petit monde corseté de Bruxelles, où, de peur de perdre du terrain face aux « populistes », on ne prononce jamais un mot plus haut que l’autre, cela ressemble à un désaveu cinglant. Le « Pfizergate » ne devrait pourtant pas lui être trop préjudiciable. « Il y a à l’évidence d’autres priorités. En pleine affaire ukrainienne, on ne va pas se payer le luxe d’affaiblir la Commission », assure un fonctionnaire européen.

La communication sur le sujet a été totalement verrouillée, à l’image de celle de la présidente, entourée de conseillers venus de Berlin, que bien des eurodéputés qualifient de « paranos ». Les interviews aux journalistes sont accordées au compte-gouttes, la patronne préférant de loin communiquer par petites vidéos à sa gloire diffusées sur les réseaux sociaux.

Ursula au Sénégal, Ursula au Maroc, Ursula au One Ocean Summit… « A sa décharge, Von der Leyen ne connaissait rien à Bruxelles avant 2019, où elle a été propulsée à la Commission grâce à un accord Macron-Merkel. Elle n’y avait aucun relais. Elle s’appuie surtout sur la droite allemande », ajoute un bon connaisseur des dossiers européens.

Enfermée dans ses bureaux, elle ne délègue rien et accorde le minimum de pouvoirs aux commissaires européens avec lesquels elle est censée faire équipe. C’est pourtant l’un d’eux qui lui a sauvé la mise. Car la Commission a commencé par nier la réalité de la pandémie puis a perdu beaucoup de temps à négocier les prix du vaccin, en négligeant l’aspect industriel du sujet. Prises par le temps, von der Leyen et ses équipes ont un peu trop fait confiance aux labos et à leurs mirifiques promesses de livraison soudaine de millions de vaccins. « La politique vaccinale européenne est vraiment merdique », s’exaspère alors son compatriote Olaf Scholz, qui deviendra chancelier quelques mois plus tard.

C’est le commissaire Thierry Breton, appelé à la rescousse, qui va discuter avec les labos et redresser la barre. « Depuis, elle lui fiche une paix royale », rigole un eurodéputé français. Pas question pour autant de lâcher quoi que ce soit. C’est son chef de cabinet qui écrit et signe les communiqués sur l’Ukraine et négocie directement avec la secrétaire d’Etat américaine aux Affaires européennes. Avec Charles Michel, le président du Conseil européen, les relations sont exécrables. « C’est incroyable que cela ait dégénéré ainsi, chacun veut s’afficher comme « chef de l’Europe » », s’agace un collaborateur de la Commission.

A Berlin, l’ex-ministre de la Défense a laissé un souvenir mitigé. Elle a été accusée de favoritisme pour avoir signé 200 millions d’euros de contrats à des consultants extérieurs, majoritairement issus de grands cabinets américains comme McKinsey. Des contrats trop souvent conclus sans respect des règles. Convoquée au Bundestag, Ursula von der Leyen s’en est fort bien tirée : les SMS de son portable de service, qu’elle avait rendu lors de son départ à Bruxelles, avaient été effacés, mince alors. On a fait payer quelques subalternes, qui ont aimablement porté le chapeau. Le « Spiegel » a consacré une enquête saignante à son parcours : « Chaque fois, elle s’en est sortie avec une gratification de carrière, en partant juste à temps pour laisser les pots cassés à ses successeurs. » Mme Von der Leyen, ce sont encore les Allemands qui en parlent le mieux.


Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé. 16/02/2022