Ode à sa muse

Grossi-toi, ma Muse Françoise,
Et enfante un vers resonant,
Qui broie d’une telle noise
Qu’un fleuve débordé tonant,  

Alors qu’il sacaige et emmeine,
Pillant de son flot, sans merci,
Le tresor de la riche pleine,
Le boeuf et le bouvier aussi.
 
Et fai voir aus yeux de la France
Un vers qui soit industrieus,
Foudroiant la vieille ignorance
De nos peres peu curieus.
 
Ne sui ni le sens, ni la rime,
Ni l’art, du moderne ignorant,
Bien que le vulgaire l’estime,
Et en béant l’aille adorant.
 
Sus donque ! l’envie surmonte,
Coupe la teste à ce serpent :
Par tel chemin au Ciel on monte,
Et le nom au monde s’épend.


Ronsard