De la ferme familiale à la firme internationale

L’agro-industrie avale la terre

De l’Union européenne aux Nations unies, toutes les institutions préconisent le maintien d’une agriculture familiale durable. Pourtant, ce modèle apparaît plus que jamais menacé par l’irruption de firmes géantes de l’agroalimentaire, qui investissent de plus en plus dans le foncier. Loin d’être cantonné aux pays en développement, l’accaparement des terres par les industriels concerne aussi la France.

En avril 2016, le groupe pékinois Reward, spécialisé dans l’agroalimentaire, faisait la « une » des journaux. Ses achats mettaient au jour les failles du système français de protection des ressources agricoles. La société du milliardaire Hu Keqin venait d’acquérir 1 700 hectares de terre céréalière dans l’Indre et l’Allier (soit plus de vingt fois la surface moyenne d’une exploitation). Les farines françaises devaient fournir la chaîne chinoise de boulangeries Chez Blandine. Si le groupe a fait faillite en 2019, les fermes continuent d’être exploitées par Ressources Investment, filiale française qui a échappé à la procédure. L’affaire a surtout révélé une évolution majeure dans l’agriculture : l’arrivée d’investisseurs d’un genre nouveau démontre que l’accaparement des terres cultivables ne concerne pas seulement les pays du Sud.

En toile de fond se joue un affrontement déterminant sur le marché foncier. Des industriels d’envergure internationale tentent de prendre l’avantage sur les producteurs. Ils se lancent dans l’agriculture pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, et plus seulement le maillon commercial. Cette évolution remonte aux années 2010, selon les agronomes Geneviève Nguyen et François Purseigle : « L’exploitation agricole devient une entité parmi d’autres dans un groupe industriel », observent ceux qui furent parmi les premiers à s’intéresser à ce phénomène de concentration verticale (alors qu’on pensait celle-ci reléguée au profit d’une concentration horizontale, agglomérant des activités distinctes). Dans leur ouvrage sur le nouveau capitalisme agricole, les agronomes estimaient en 2017 que « les exploitations agricoles aux allures de firme représentent 10 % des exploitations, 28 % de l’emploi, 30 % de la production brute standard ». Cette acception large du terme « firme » comprend aussi des domaines familiaux ou des combinaisons d’unités productives. La part des firmes de type holding, contrôlées par de grands groupes, demeure difficile à quantifier faute d’outils statistiques pour les identifier.

Il faut dire que ces fermes passent souvent inaperçues. En Camargue, de grandes plaines irriguées voisinent avec la célèbre réserve naturelle méditerranéenne. Dans ce décor de carte postale, Euricom, qui se présente comme le premier en Europe pour la transformation et le négoce du riz, a racheté en 1998 la Société française des riz de choix. La société mère d’origine italienne commerce avec une quarantaine de pays. À l’entrée de la propriété (un immense corps de ferme planté devant des rangées de riz qui s’étirent à l’infini), rien n’indique que nous sommes sur les terres d’Euricom. C’est pourtant là, à Port-Saint-Louis-du-Rhône, que le groupe possède 1 300 hectares, en plus d’autres acquisitions foncières dans le monde.

Les terres et les céréales françaises ont particulièrement la cote. La France jouit d’une bonne réputation sur le marché intérieur, mais aussi international, en raison de normes environnementales et sociales plus exigeantes que dans d’autres pays. Euricom a acquis des terres au moment où le riz de Camargue obtenait une indication géographique protégée (IGP) garantissant au consommateur une origine et le respect d’un cahier des charges (qui n’interdit pas l’usage de pesticides ou d’herbicides).

Les dessous du marché

Détenir la terre présente trois atouts majeurs. D’abord, Euricom assure lui-même son approvisionnement sans passer par les autres producteurs. Ensuite, le contrôle des matières premières apporte plus de flexibilité pour répondre aux attentes changeantes du consommateur. Enfin, l’exploitation directe lui permet de se passer d’intermédiaires coûteux : agriculteurs, coopératives, négociants, etc.

Pour s’imposer, les industriels recherchent par tous les moyens la baisse de leurs coûts de production. Le jeu de la concentration se voit renforcé par les subsides publics.

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Lucile Leclair. Le Monde Diplomatique. Titre original : “L’agro-industrie avale la terre”. Source (Extraits)


2 réflexions sur “De la ferme familiale à la firme internationale

  1. Danielle ROLLAT 12/02/2022 / 18:08

    Que sont devenus les petits exploitants propriétaires de ces terres après avoir été saignés par les emprunts contractés auprès du Crédit Agricole, bossant dès la sortie de l’école primaire jusqu’à 65 ans, pour percevoir des retraites de misère, heureusement récemment réévaluées, après la bataille menée par Monsieur André CHASSAIGNE, Député du Puy-de-Dôme ?
    Leurs enfants sont-ils salariés de ces industriels, et payés avec un lance-pierres ? Je pense à mes beaux-parents décédés… heureusement qu’ils ne voient pas cela…

  2. jjbadeigtsorangefr 12/02/2022 / 20:54

    Si vous voyiez ce que Bolloré fait au Maroc vous seriez épouvanté.
    C’est pourtant la même chose qu’a subi la paysannerie française.
    La concentration capitaliste est dénuée de limites….

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