Élections : Ces figures de l’Histoire qu’on agite.

Se réclamer de figures historiques, voire détourner l’Histoire à des fins politiques ?

Un grand classique de campagne, auquel les prétendants à la présidentielle de 2022 ne dérogent pas. Obligeant les historiens à remettre les pendules à l’heure.

Aux grands hommes les candidats reconnaissants !

À l’approche de chaque élection présidentielle – parfois même en dehors –, les ténors politiques y vont tous, ou presque, de leurs références historiques, élaborant leur propre imaginaire national. Nommer les figures qui les ont précédés, c’est à la fois s’inscrire dans l’histoire d’un pays et asseoir une légitimité ; et tant pis si les références en question s’avèrent parfois incompatibles avec les idées de celles et ceux qui les citent.

Fait nouveau pour cette élection 2022, un candidat vient même souffler sur les braises des vieilles idéologies d’extrême droite, avec la conviction que la seule vérité qui l’emporte est celle qui sera criée le plus fort et la plus abondamment diffusée…

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L’appel aux personnalité de l’histoire, ne date pas d’hier.

Georges Clemenceau cultivait sa culture classique : « Quand j’étais un peu las de toutes ces âneries et de tout ce néant de quoi la politique est faite, je me tournais vers la Grèce. D’autres vont pêcher à la ligne. Chacun sa méthode. »

Jean Jaurès s’interrogeait sur l’usage de l’histoire par la droite nationaliste : « Qu’est-ce donc que cette « France éternelle » qui se croit sans cesse menacée de dissolution ? »

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Nicolas Sarkozy fit référence à Jaurés à quatre-vingt-huit reprises (!) lors de différentes interventions, autant pour invoquer la stature morale de l’homme que pour souligner à quel point la gauche l’avait, selon lui, trahi.

Nicolas Sarkozy, se disant son « héritier », cita encore Léon Blum. Ou le jeune communiste Guy Môquet.

Ségolène Royal citait pêle-mêle Jean Jaurès, Albert Camus, Léon Blum, Mirabeau ou Bertolt Brecht — ce dernier ayant depuis disparu du catalogue référentiel.

“Figures tutélaires” à usage variable

« La gauche actuelle manque de références précises, observe l’historien Gilles Candar : Jean Jaurès, tribun populaire ou “homme du peuple”, est certes utilisable sans qu’on ait trop besoin d’entrer dans le détail de ses idées politiques ; mais Léon Blum, lié à des problématiques politiques et économiques complexes de l’entre-deux-guerres, s’éloigne un peu. En fait, le dernier dont la gauche pourrait se revendiquer est François Mitterrand… Or il est, précisément, trop politique et d’un usage délicat. »

Usage a minima tout de même pour Christiane Taubira qui, dans la foulée de sa victoire à la primaire populaire, l’a cité, entre autres « grandes et belles figures tutélaires » […] .

Anne Hidalgo qui, en janvier, se rendit sur sa tombe, afin de saluer celui qui avait prouvé que pour « pouvoir conquérir le pouvoir, il faut se rassembler »  […]

Reste que les deux grands habitués du podium des références demeurent Charles de Gaulle et Georges Clemenceau. Mais pour quels aspects d’eux-mêmes ?

Quand on parle de Clemenceau par exemple,

  • s’agit-il de l’élu parisien, maire du 18ᵉ arrondissement en 1870 ?
  • Du parlementaire qui ferrailla avec Jules Ferry sur la question du colonialisme en 1885 ?
  • Du dreyfusard de 1898 ?
  • Du « premier flic de France », ministre de l’Intérieur en 1906 ?
  • De l’anticlérical ?
  • Du président du Conseil de la Première Guerre mondiale ?

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Lors des primaires de la droite, en novembre 2021, on assista à un impressionnant défilé à Colombey-les-Deux-Églises, à l’occasion du 51ᵉ anniversaire de la mort de De Gaulle : Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Michel Barnier, Éric Ciotti ou Nicolas Dupont-Aignan…

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Et quid des candidats à l’actuelle course présidentielle ?

Trois d’entre eux (déclarés ou sur le point de l’être), plus encore que les autres, se plaisent à manier les références historiques : Emmanuel Macron, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Référence ultime de ce dernier : le peuple, […] comme l’incarnation de la révolution citoyenne – depuis Étienne Marcel, au début du XIVᵉ siècle, jusqu’à la Commune de Paris, en 1871, en passant bien sûr par la Révolution française.

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Macron et son fourmillant panthéon

  • Un président de la République doit-il se placer dans cette perspective-là ?
  • Ou assumer un autre rôle, singulier, dans son rapport au passé ?

En 2016, Michel Rocard assurait qu’il incombait surtout au chef de l’État, quel qu’il soit, une mission de réconciliation des mémoires : « Il doit incarner une mémoire française en paix avec elle-même. » Depuis son élection, Emmanuel Macron reprend l’objectif à son compte.

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Le “roman national” de Zemmour

Reste enfin Éric Zemmour. Lui qui affirme vouloir « refaire le roman national » y intègre, pêle-mêle, Jeanne d’Arc et Victor Hugo, Descartes et Gavroche, de Gaulle et, curieusement, Jean Moulin… alors qu’il veut réhabiliter le maréchal Pétain.  […]

Il martèle que « la France s’est faite par ses rois, par son Église, son empereur ». Exhume des références de l’avant-guerre, à l’image du « nationalisme intégral », de Charles Maurras. Reprend la vieille antienne d’un Pétain « bouclier » et d’un de Gaulle « glaive » thèse claironnée par l’extrême droite depuis des décennies et démentie par les études les plus sérieuses. Dans son livre La France n’a pas dit son dernier mot (2021), il faisait l’éloge de Donald Trump, champion de mensonges clamés comme des vérités…

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Face à une telle offensive référentielle, la collection Tracts (Gallimard) a confié son trente-quatrième volume à douze historiens et historiennes, qui réfutent les falsifications zemmouriennes du passé et autres manipulations politiques. Mais les dénoncer est-il utile quand la communication politique se diffuse à la vitesse des réseaux sociaux ?

Les auteurs revendiquent un acte politique et une défense des travaux scientifiques. « Ils ont raison, reprend Sébastien Ledoux. Il faut en effet rappeler les faits et leur contexte, comme le font des historiens tels que Jacques Semelin ou Laurent Joly, spécialistes du régime de Vichy.
Ils s’appliquent à rappeler l’histoire, y compris sur les plateaux des chaînes d’info en continu. Cela peut faire grincer des dents dans le milieu académique, qui se méfie du monde médiatique… Aujourd’hui, c’est indispensable. »


Gilles Heuré – Télérama. Titre original : « De Gaulle, Mitterrand, Pétain… Ces figures de l’Histoire qu’on agite en période électorale ». Source (Extraits)


5 réflexions sur “Élections : Ces figures de l’Histoire qu’on agite.

  1. bernarddominik 06/02/2022 / 09:21

    Je me rappelle toujours le slogan de Tixier Vignancour lors des élections dans le Var: « le Var à élu Clémenceau le Var élira Tixier Vignancour ». Il n’a pas été élu, à cette époque le Var était encore un peu à gauche.

    • Libres jugements 06/02/2022 / 11:05

      Bonjour Bernard
      Juste une précision : Georges Clemenceau ne voulait absolument pas que son nom s’écrive Clémenceau.

      Le berceau de ma famille vendéenne d’origine, exilé en région parisienne, faisant partie de sa parenté éloignée (37ᵉ degré), entendait, qu’il fallait faire remarquer, lorsque les personnes écrivaient différemment des vœux de JOJO-Le Tigre, notre nom, non pas avec un é mais un e … ce que d’ailleurs, relate-le, Larousse et à bien observer, l’inscription portée sur les plaques des rues.
      Par cette précision, loin de moi l’idée de me faire donneur de leçon, juste de relater ce qui est respecté dans nos familles comme « le lait sur le feu »…
      Amitiés
      Michel Clemenceau

      • bernarddominik 06/02/2022 / 15:56

        Merci beaucoup Michel pour cette précision que j’ignorais dorénavant je ferai attention à bien l’orthographier

  2. jjbadeigtsorangefr 06/02/2022 / 15:40

    On ne choisit pas sa parentèle, elle est. tout comme l’histoire, elle est et les fumistes qui s’en emparent pour la dévoyer ne méritent que le mépris. C’est ce qui m’anime vis à vis de Zémerde comme de ceux qui nient le massacres nazis …..

  3. luc nemeth 07/02/2022 / 16:36

    En assurant en 2016 qu’incombait surtout au chef de l’État, « quel qu’il soit » (?!!!), une mission de réconciliation des mémoires, Rocard énonçait pas moins de trois niaiseries dans une même phrase.
    1) à chacun son métier… Aux historiens, de faire leur travail, aux politiciens de faire le leur -de toute façon ils ne nous demandent pas la permission pour tout ce qui est commémorations etc.
    2) Rocard et autres sont libres de leur fantasme de réconciliation nationale mais c’est là une position purement politicienne et qu’ils se doivent d’assumer -sans venir se draper dans on ne sait quelle déontologie.
    3) c’est jusqu’au mot « mémoire » qui est devenu lui-même impropre. D’abord parce que la mémoire est une fonction, qui s’exerce à l’insu de ses acteurs -et non une… construction, comme ici le reconnaissait ingénument Rocard. Ensuite parce que les pouvoirs publics appellent et par antiphrase, « mémoire », le peu qu’ils voudraient qu’on retienne et qui les intéresse -là où le but principal qu’ils poursuivent est l’organisation de… l’oubli. Enfin parce que le mot « mémoire », utilisé par eux, suppose qu’existerait une mémoire commune à tous, idée que l’on a pu voir à l’oeuvre par exemple avec l’entreprise éditoriale qui a eu pour nom, « Les lieux de mémoire » : disons qu’effectivement ça fonctionne, tant qu’on prend pour exemple le livret de caisse d’épargne ou le paquet de… gauloises, mais pour le reste, présupposer qu’existerait une mémoire commune à tous les français est, là encore, une entreprise idéologique.

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