HAUSSE DU SMIC…

… Plutôt Berlin que Paris

Guillaume de Calignon, journaliste aux Échos et homme sincèrement soucieux du bien-être de ses semblables, veut y croire : « C’est peut-être un changement de cap majeur de la politique économique de ces trente dernières année (1),. » De quoi s’agit-il? De la hausse du salaire minimum horaire dans plusieurs pays européens : + 3,6 % en Espagne, et + 7 % au Royaume-Uni. Mais c’est l’Allemagne qui affole les compteurs : un bond de 25 %, pour porter le 1er octobre prochain le salaire plancher à 12 euros brut de l’heure (contre 10,5 euros en France).

D’où vient cette soudaine humanité? Du souhait de faire un geste en faveur de la « première ligne »; de faire face à la récente poussée de l’inflation, conséquence de la reprise mondiale et de la hausse du coût de l’énergie, qui atteint 5 % en Allemagne ; de la volonté de certains dirigeants politiques de donner un sens à la très fumeuse «valeur travail ». Et, surtout, de la peur, la bonne vieille peur. Car la montée des votes contestataires fait que même les ministres des Finances commencent à craindre pour leurs fesses.

En effet, dans la zone euro, la pauvreté laborieuse concerne 9 % des travailleurs, très majoritairement des travailleuses (femmes de ménage, aides à domicile, etc.), qui per­çoivent donc un revenu inférieur au seuil de pauvreté alors qu’elles bossent dur. De plus, la création du salaire minimum au Royaume-Uni (en 1999, thank you, Tony), puis, beaucoup plus récemment, en Allemagne (en 2015, danke, Angela), tout comme les hausses intervenues dans plusieurs États américains — Californie, État de New York et Massachusetts – ont montré que mieux payer les moins bien payés ne créait pas de chômage, contrairement à ce que « savait » l’immense majorité des économistes.

Lorsque les salaires sont vraiment trop bas, comme c’est le cas aux États-Unis avec le salaire minimum fédéral (7,5 dollars de l’heure), les gens sont souvent malades, absents. Les perturbations sont alors très coûteuses pour les entreprises. De plus, de nombreuses études montrent que les gains pour les personnes, la société et le système de santé sont considérables lorsque les travailleurs voient leur salaire horaire un tout petit peu accru : ils triment moins d’heures par semaine, s’alimentent mieux, suivent davantage leurs traitements médicaux, réduisent leur consommation d’alcool ou de tabac, s’occupent mieux de leurs enfants, qui ont de meilleurs résultats scolaires. Même les violences des hommes à l’égard des femmes diminuent(2).

En France, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou et Christiane Taubira proposent d’accroître le smic, dans des proportions variables. Mais aucune d’elles et aucun d’eux ne sera élu. Que le prochain président soit Emmanuel Macron ou Valérie Pécresse, la «baisse des charges» se poursuivra. Or diminuer les cotisations sociales, c’est réduire les recettes de la Sécu, ce qui conduira inévitablement—mais non, ce n’est pas fait exprès — à sabrer les pensions de retraite et les allocations sociales, c’est-à-dire à diminuer toujours plus ce que les salariés reçoivent au cours de leur vie en échange de leur travail (ce que certains appellent salaire différé, ou salaire socialisé). Jeunes de France, si vous voulez être bien payés, il va falloir vous mettre à l’allemand.


Jacques Littauer Charlie hebdo. 02/02/2022


  1. « Les hausses de salaire minimum se multiplient en Europe » (Les Échos, 24 janvier 2022).
  2. Pour une revue de la littérature sur le sujet, lire « Quand le smic sauve des vies », de Gilles Raveaud (alternatives-economiques.fr, 5 avril (2019).