Vos escarres valent de l’or

… lorsque la société est dans le noir complet…

Le scandale de la maltraitante dans les maisons de retraite, révélé par une enquête récente (1), étonne encore quelques optimistes. On apprend qu’un quart des établissements qui accueillent les personnes âgées sont des sociétés privées cotées en Bourse. Cotées en Bourse!

On est heureux de savoir qu’on peut donc acheter des actions de ces boîtes et obtenir quelques dividendes à la fin de l’année, grâce aux bons résultats financiers de ces mouroirs payants.

Les personnes âgées utilisent souvent toutes leurs économies pour s’offrir une place dans l’un de ces établissements et, si cela ne suffit pas, les enfants mettent en vente la maison familiale et le peu de patrimoine qui subsiste.

La droite veut supprimer les droits de succession, mais ce sont probablement les plus riches qui en profiteront, car les plus modestes auront déjà vendu les biens de leurs parents pour financer leur dernier voyage dans une maison de retraite.

Cet argent enrichira d’abord la société privée qui gère l’Ehpad, et ensuite les actionnaires sous forme de dividendes. On nous signalait cette semaine, au journal, le cas d’adultes qui avaient placé leurs parents en Ehpad et parallèlement acheté des actions de la société propriétaire, afin de toucher un petit quelque chose à la fin de l’année et de compenser les frais élevés de ce placement. Il fallait y penser.

Finalement, les vieux travailleront jusqu’au bout. Pas pour eux, mais pour enrichir les autres. Comme une vieille mule qu’on fait tourner autour d’une meule à grains jusqu’à son dernier souffle, un vieillard peut encore rapporter du fric même s’il a perdu la boule depuis longtemps.

Les maisons de retraite privées cotées en Bourse représentent le stade ultime de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ou plus exactement de l’homme invalide par l’homme valide.

Une société privée qui est payée avec l’argent de la vente de la maison de la personne âgée qu’elle vient d’accueillir, cela porte un nom : une captation d’héritage. Et cela en toute légalité.

En bas âge, l’être humain est pris en charge par des crèches, qu’il faut payer. À la fin de sa vie, l’être humain est pris en charge par des Ehpad, qu’il faut aussi payer. La vie commence et finit avec des histoires d’argent. Dans le public, le coût d’une crèche est défini en fonction du coefficient familial et tourne autour de100 à 200 euros par mois sans compter les aides publiques.

Dans les Ehpad privés les plus luxueux, les frais peuvent aller de 6 000 à10 000 euros par mois. Escarres comprises.

À la Bourse des êtres humains, la fin de vie vaut plus cher que son commencement car, entre sa naissance et sa mort, un individu aura passé son existence à travailler, à épargner et à acquérir des biens. C’est donc là qu’il rapportera le plus.

Le génie diabolique de l’économie de marché, c’est qu’elle parvient toujours à transformer en or tout ce qu’elle touche.

 Donnez-lui des enfants, elle en fera des mineurs de fond. Des femmes, elle en fera des prostituées. Des Africains, elle en fera des esclaves. Des migrants, elle en fera des balayeurs. Et des vieillards, elle en fera des actions en Bourse. Les maisons de retraite cotées sont comme les gros vers blancs qui apparaissent sur les cadavres des bestioles crevées. Les escarres de nos anciens donneront naissance à des dividendes dont se nourriront une poignée de parasites.

Mais on ne peut se contenter de déplorer cette situation révoltante sans se retourner vers les innombrables candidats à la présidentielle, qui, en ce moment, font une proposition miracle par jour pour régler les problèmes des Français.

Quelques commissions d’enquête pour découvrir ce qui se passe dans ces maisons de retraite privées ne suffiront pas. Car on le sait déjà mais on ne veut pas le dire : la privatisation de toutes les activités humaines, de la naissance à la mort, organise la société de manière catastrophique.

La marchandisation du vivant détruit non seulement les écosystèmes, mais aussi les relations entre les individus.

Qu’est-ce qui, dans cette société, relie encore les êtres humains les uns aux autres?

On attend le candidat qui aura une réponse à la hauteur de cette question.


Editorial de Riss – Charlie Hebdo – 02/02/2022


1. Les Fossoyeurs, de Victor Castanet (éd. Fayard)


2 réflexions sur “Vos escarres valent de l’or

  1. jjbadeigtsorangefr 03/02/2022 / 08:23

    Le tableau est presque complet et en lisant le programme de Fabien Roussel on rentre dans l’espoir, car les moyens existent pour faire autrement et les mettre en œuvre ne dépend de que de vous.

  2. bernarddominik 03/02/2022 / 09:51

    Je l’ai dit et écrit à mes enfants quand je ne pourrai plus assurer mes besoins élémentaires par moi même je préfère l’euthanasie, en espérant ne pas être obligé d’aller en Belgique.

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