Repentir coloniale…

Le gouvernement canadien offre la repentance aux autochtones…

Ce sera finalement 40 milliards de dollars canadiens (28 milliards d’euros). Après des années de procédures judiciaires et de négociations, gouvernement fédéral et représentants des peuples autochtones sont finalement tombés d’accord sur la somme indemnisant les enfants et leurs familles victimes de discriminations.

Le plus grand accord financier jamais conclu de toute l’histoire du Canada, pour réparer l’un des plus grands scandales : pendant un siècle et demi, entre 1831 et 1996, plus de 150 000 enfants autochtones ont été arrachés à leurs parents, placés de force dans des pensionnats, avec interdiction formelle de parler leur langue ou de pratiquer leurs rituels.

« L’idée était de les « sédentariser, civiliser et christianiser », explique Jean Leclair, professeur titulaire de droit à l’université de Montréal, spécialiste de la question autochtone. Environ 6 000 d’entre eux ne sont jamais revenus. Sans aucune explication à leur famille. Des centaines de cadavres d’enfants non identifiés ont d’ailleurs été mis au jour rien qu’au cours de l’année 2021 dans des fosses communes, à proximité d’anciennes « écoles résidentielles ». Ceux qui ont survécu ont raconté avoir subi des maltraitances physiques et psychologiques. Certains, des abus sexuels ».

Des horreurs que les Canadiens découvrent peu à peu, sidérés, au fil des exhumations macabres. Et pour lesquelles ils sont prêts à payer pour tenter de nettoyer leur karma. « Il faut se faire à l’idée que notre pays n’est pas la grande terre d’égalité qu’il pensait être », résume le chercheur.

Bon… pour voir le début des premiers dollars, il va falloir encore patienter. Parce qu’il reste à «déterminer les modalités d’attribution », vient d’expliquer le gouvernement fédéral. Les plus optimistes tablent sur décembre 2022, au plus tôt. Après tout, les victimes ne sont plus à une décennie près…

En tout cas, au Canada, la « réconciliation » avec les peuples autochtones est le concept à la mode. Là-bas, pas de fausse pudeur ou de tentative d’enjoliver le passé : tous les bords poli­tiques reconnaissent sans ciller les atrocités de la colonisation.

Le Premier ministre, Justin Trudeau, en a même fait l’un de ses grands chantiers depuis son arrivée au pouvoir, en 2015 : excuses récurrentes, reconnaissance d’un «génocide culturel», distribution de millions de dollars de subventions, etc., son volontarisme affiché sur le sujet a permis une prise de conscience générale. Pour le meilleur… et pour le pire. Notamment la tentation de plus en plus fréquente de recourir à la « cancel culture ».

En Ontario notamment, dans un groupe scolaire catholique, où près de 5000 livres (dont Tintin en Amérique et Astérix et les Indiens, par exemple) accusés de propager des ‘stéréotypes sur les Premières Nations ont été brûlés ou censurés.

Ou encore, toujours dans la même province, dans la ville de Grand Sudbury, où, le 25 novembre dernier, les festivités de la Sainte-Catherine, très populaires au Canada, ont été annulées au motif que, selon la légende, les traditionnelles sucreries fabriquées pour l’occasion auraient servi, au XIXᵉ siècle, à attirer les jeunes autochtones à l’école catholique, et donc à les éloigner de leurs communautés et à les acculturer.

Embarras des politiques, qui jouent les équilibristes pour désapprouver sans condamner l’autodafé, à l’image de Justin

Trudeau, qui, « au niveau personnel, n’est jamais d’accord pour que l’on brûle les livres », tout en ajoutant que ce n’est pas à des non-autochtones comme lui de décréter «comment on doit agir pour avancer vers la réconciliation ». Heureusement, les premiers concernés se montrent bien plus raisonnables et mesurés. « La réconciliation […] ne se fera certainement pas de cette façon, s’est immédiatement insurgée Isabelle Picard, ethnologue huronne-wendat. […] Sérieusement… c’est bien peu connaître nos cérémonies et en avoir peu de respect. Je ne sais pas par où commencer pour communiquer ce que je pense de cette mascarade. » «Ça ne part évidemment pas d’une mauvaise intention, reconnaît Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo, étudiante et militante anichinabée. Mais, la destruction ne fait pas partie de nos valeurs. Détruire l’Histoire des autres ne construit en rien la nôtre. Au contraire, supprimer ces ouvrages revient à supprimer des preuves du racisme que nous avons subi et subissons. Il faut que nos descendants y aient accès. »

Pourtant, les autochtones auraient bien des raisons de se montrer plus belliqueux. «Je suis toujours étonné de leur patience, reconnaît Jean Leclair. Quand on sait ce qu’ils ont vécu et vivent encore, c’est presque miraculeux que cela n’ait pas dégénéré en terrorisme. » Parce que derrière les déclarations de principe, les sanglots à répétition et les commissions d’enquête en tous genres, les promesses ont bien du mal à être tenues.

Difficile à concevoir, mais, en 2022, au Canada, l’un des pays les plus avancés de la planète, plusieurs dizaines de communautés autochtones (comme on appelle aujourd’hui les « réserves ») n’ont même pas d’eau potable ! Et doivent porter de lourds bidons pour aller en chercher, se laver avec de l’eau en bouteille ou faire bouillir chaque goutte utilisée. « C’était une promesse de campagne de notre Premier ministre, en 2015, se souvient Kijâtai Alexandra Veillette-Cheezo. Il avait pris l’engagement d’y remédier totalement dans les cinq ans… Finalement, ce n’est qu’à l’approche des nouvelles élections, en 2021, que des actions concrètes ont, comme par hasard, été menées. Il y a encore beaucoup de personnes qui n’y ont pas droit. Ce n’est pourtant pas un luxe d’avoir de l’eau consommable aujourd’hui en Occident ! »

Autre dossier potentiellement explosif, le difficile accès des Premières Nations aux soins de base.

En septembre 2020, Joyce Echaquan, une jeune mère de famille atikamekw de 37 ans, mourait à l’hôpital de Joliette (à quelques dizaines de kilomètres au nord de Montréal) d’un œdème pulmonaire, sous les insultes racistes du personnel soignant, qui ne l’avait pas prise au sérieux. « Ç’a été un électrochoc », se souvient Carole Lévesque, anthropologue, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui travaille depuis près de cinquante ans sur la vie des communautés. « Son calvaire, qu’elle a filmé elle-Même, en direct sur Facebook, est insoutenable. Pour ceux qui pouvaient encore douter des discriminations auxquelles les Premières Nations sont confrontées, difficile maintenant d’avoir des doutes… Dans sa tragédie, Joyce Echaquan a contribué à mettre la question de la santé autochtone au centre des débats de société. Et sans doute à sauver d’autres vies ».

En attendant des avancées concrètes, l’analyse de la situation fait froid dans le dos : dépendance accrue à l’alcool et aux drogues, féminicides encore plus fréquents (23 % des féminicides concernent des autochtones, alors que ces derniers représentent moins de 5 % de la population canadienne) et sans réelle réaction des forces de l’ordre, fréquentes vagues de suicides (taux neuf fois plus élevé chez les Inuits que chez les allochtones, selon les chiffres officiels, concernant parfois des enfants de moins de 10 ans!)…

Plutôt que des «causeries» interminables sur le passé et sur une «réconciliation », certains membres des Premières Nations aimeraient qu’on mette les mains dans le cambouis pour préparer le futur.

À l’image de Daniel Sioui, éditeur-écrivain wendat, auteur du pamphlet Indien stoïque (éd. Hannenorak), qui reproche à une partie de ses congénères de se complaire dans une attitude passéiste et victimaire, idéalisant une lointaine ère pré-européenne : « On entend vraiment trop souvent parler de notre passé de chnoute [de merde, ndlr] et pas assez de notre avenir de rêve, assure-t-il. Nous devons grandir ensemble et sortir de notre rêvasserie de vouloir recréer l’Amérique d’avant les Blancs […]. Si nous le désirons vraiment, la période que nous vivons pourrait être notre fameux âge d’or. Encore faudrait-il, pour cela, mettre nos énergies au bon endroit, et sur les bons dossiers ».


Ava Roussel. Charlie-Hebdo. 26/01/2022


4 réflexions sur “Repentir coloniale…

  1. Claudine Daussy 01/02/2022 / 12h37

    Bien comprendre pour bien penser puis bien agir…. encore une belle lumière merci

    • Libres jugements 01/02/2022 / 16h00

      Bonjour Claudine et merci pour ce commentaire.
      Bonne journée
      Cordialement,
      Michel

  2. Danielle ROLLAT 01/02/2022 / 18h18

    Bonne chance, bon courage et bons travaux à nos Amis Canadiens, pour aller vers la réparation, l’apaisement et l’équité : « un homme, une voix »..

  3. jjbadeigtsorangefr 01/02/2022 / 23h11

    Les larmes de crocodiles de certains ne laveront pas le sang versé ni l’humiliation de ceux qui restent.

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