Tout commence avec son choix.

À la fin des événements que je vais te raconter, devant le cimetière, sous le manguier, j’avais reposé ma question à Mossane. Elle s’était depuis longtemps enfoncé dans un monde de solitude et d’ombre et de silence. Mais je lui avais tout de même reposé mon éternelle question : pourquoi lui ?

Ce jour-là, une fois de plus, j’avais parlé sans espoir de réponse. Cela faisait bien longtemps que je n’adressais plus seulement cette question à Mossane. Elle était aussi destinée à Dieu. Mais par-dessus tout, elle m’était destinée.

Chaque homme sur terre doit découvrir sa question, Marème Siga.

Je ne vois pas d’autre but à notre présence ici. Chacun de nous doit trouver sa question.

Pourquoi ? Obtenir une réponse qui lui dévoilerait le sens de sa vie ?

Non : le sens de la vie ne se dévoile qu’à la fin. On la cherche pour faire face au silence d’une pure et intraitable question. Une question qui ne posséderait aucune réponse. Une question dont le seul but serait de rappeler à celui qui la pose la part d’énigme que sa vie porte. Chaque être doit chercher sa question pour toucher du doigt l’épais mystère au cœur de son destin :, ce qui ne lui sera jamais expliqué, mais qui occupera pourtant dans sa vie une place fondamentale.

Des hommes meurent sans avoir trouvé leur question. D’autres l’identifient tard dans le cours de leur vie. Moi j’ai eu la chance et la malédiction de trouver assez jeune la forme de ma question. Délivré pour le reste de mes jours de l’angoisse de la chercher, je me suis en même temps chargé d’une autre angoisse : être hanté à jamais par le silence ouvert devant mon interrogation. Mais ce silence n’est pas un vide. Il est toujours peuplé par le tumulte des hypothèses infinies, des réponses possibles et des doutes immédiats qui lui sont attachés.


Mohamed Mbougar Sarr – « La plus secrète mémoire des hommes » (Extraits)