Dégradé l’immobilier de l’Intérieur !

Le toit du ministère qui s’effondre, des commissariats pourris, des casernes insalubres et des préfectures délabrées : l’incroyable rapport qui alerte sur l’insécurité de Beauvau.

Macron s’est bien gardé d’en piper mot, le 10 janvier 2022.

Ce jour-là, de Nice, le Président détaille, mine de rien, de possibles pistes d’action pour un prochain quinquennat qui garantirait à tous « la vie tranquille » (sic).

En résumé : plus de flics et toujours plus de pognon pour eux, sous forme de rab de salaire, de primes, de matériel ou de voitures.

Pas un mot, en revanche, sur l’état de délabrement des commissariats, casernes et autres préfectures. Le parc immobilier (14,4 millions de mètres carrés, estimés à plus de 13 milliards d’euros) tombe en ruine, et les projets de rénovation et de constructions nouvelles ne sont pas financés. Le futur premier flic de France va faire face à de lourdes charges (de copropriété)…

CRS victimes du légionnaire

Commandé un an plus tôt par Darmanin à 12 inspecteurs généraux, un rapport « confidentiel » daté d’octobre 2021 — et inédit à ce jour – critique, sur 200 pages, certains « investissements immobiliers du ministère de l’Intérieur, [qui] sont plus que préoccupants parce qu’ils mettent en risque l’exercice même des missions régaliennes de l’Etat ».

La faute, notamment, à des « mégaprojets » à visée électoraliste qui « ont généré une embolisation » budgétaire. Ainsi du futur « hôtel des polices » de Nice, dont Estrosi a remis les clés virtuelles à Macron lors de sa dernière visite et dont le coût, constatent les auditeurs, « croît avec le temps » : 150 millions en 2008, et 100 millions de plus aujourd’hui, « alors qu’une alternative bien moins coûteuse [sur un site plus modeste] était envisageable et n’a pas été suffisamment considérée ».

Pas assez bling-bling ?

Ces investissements sont d’autant plus contestables que « la dégradation globale et continue du parc immobilier risque de porter atteinte aux missions opérationnelles du ministère », voire de causer « un accident ou un événement grave ».

Exemples choisis : la brigade territoriale du Pontet (Vaucluse), où un escalier pourrait à tout moment s’effondrer ; le commissariat d’Aulnoye-Aymeries (Nord), où le vestiaire réservé aux femmes menace de s’écrouler ; celui de Roubaix, ville où la qualité du réseau électrique, au moins une semaine par an, empêche les flics de s’éclairer et de se chauffer normalement.

A Paris, des cantonnements de CRS ont été fermés pour légionellose, et des hangars de la Préfecture sont proches de l’« état de péril » ! Quant à la Place Beauvau, ce saint des saints, sa toiture n’est pas à l’abri, selon les auteurs du rapport, de s’effondrer un jour ou l’autre sur la tête du ministre. Il ne lui manquait plus que cette tuile !

Concentré de volaille

Quand ils ne tombent pas en ruine, la plupart des locaux de l’Intérieur s’avèrent « sous-dimensionnés ou mal adaptés ». Au cours de leur mission, les inspecteurs ont ainsi constaté que les poulets et les pandores vivaient à l’étroit. L’hôtel de police de Lille, par exemple, « n’a plus la capacité d’accueillir les effectifs qui y sont affectés ». A Roubaix, le bâtiment prévu en 1987 pour loger 260 flics en héberge désormais 420.

A Marseille, le commissariat du XIVᵉaucun arrondissement « accueille, dans des conditions de grand délabrement », des gardés à vue « en surnombre ». Les vestiaires du commissariat de Saint-Denis (93), construit en 2020, essentiels au bon fonctionnement de la boutique, se révèlent beaucoup trop petits ; idem pour les blouses blanches du tout récent labo scientifique de la capitale. Quant au cantonnement des CRS de Vélizy (Yvelines), « il ne pourra pas être en capacité d’héberger les effectifs nécessaires à l’occasion des prochains Jeux olympiques ». Conséquence : les gros bras seront cantonnés « à une ou deux heures de Paris » et devront effectuer des allers-retours quotidiens. Et ils gagneront une médaille ?


Didier Hassoux et Christophe Labbé — le Canard Enchaîné. 19/01/2022