L’auteur écrit dans son journal…
j’ai fait ce soir ce que je redoute le plus au monde : j’ai appelé mes parents.
Ma mère : tu as des problèmes ?
Moi non tout va bien,
elle : vraiment ?
Lui : vraiment.
Elle : Tu appelles comme ça ?
Lui : oui, pour prendre de nouvelles.
Elle : c’est ça qui m’inquiète mon fils. Ça va, tu es sûr ?
Lorsque nous nous passons un appel vidéo, mes parents, côte à côte, tiennent l’appareil en sorte que je vois sur l’écran une partie du visage de chacun. Je regarde ainsi le visage parental réunifié. Les signes de son vieillissement m’ont serré le cœur et donné l’envie de couper l’image. Mais cela n’aurait rien changé ; leur voix aussi avait vieilli : des lézardes profondes sur les murs du temps. Je me suis promis, comme chaque fois, de les appeler plus souvent.
Je savais pourtant que je ne le ferai pas. Je continuerai de les appeler rarement. Ma mère soulignait toujours, en plaisantant, mon faible sens de la famille. Amère plaisanterie : elle portait une silencieuse accusation. Mon père ne disait jamais rien à ce propos et cela voulait tout dire. Aucun d’eux ne s’expliquait mais longue période de silence. La chose m’apparaissait pourtant simple : je remplissais l’office dont beaucoup d’enfants devaient s’acquitter vis-à-vis de leurs parents un moment de leur vie : l’office de l’ingratitude.
il y avait aussi la part de la naïveté : celle qui me faisait croire que je disposais de mes parents à volonté. Si je repoussais chaque fois le moment de leur passer un coup de fil, c’était peut-être parce que, avec une confiance aveugle, j’étais sûr de les retrouver bientôt, et qu’il n’était donc pas nécessaire de les appeler tous les jours.
Ainsi chaque appel reporté, sous l’illusion de retrouvailles prochaines qui justifiaient son annulation, marquait en réalité un éloignement plus grand. J’ai atteint le stade terminal de l’immigration : je ne crois plus simplement à la possibilité du retour : je me suis convaincu de son imminence et persuadée de regagner le temps passé loin des miens. Ces tragiques espérances me font vivre autant qu’elles me tuent : j’affecte de croire que je rentrerai bientôt chez moi, tout y sera inchangé et que je pourrais rattraper. Le retour au rêve et un roman parfait – un mauvais roman donc.
Mohamed Mbougar Sarr
Texte dédié à celles et ceux qui sont loin et plus généralement à nos enfants… ou a nos souvenirs ! MC
L’auteur n’a pas volé son prix Goncourt, son roman est magnifique !
Plus qu’une bonne, non très bonne lecture, c’est effectivement un roman à recommander ce qui est selon mon point de vue assez rare n’affectionnant que rarement les prix littéraires, trop souvent attribués par un/dans un cercle restreint.
J’avoue aussi que la lecture de ce paragraphe m’a gêné profondément et pourtant combien j’aurais aimé un tel dialogue avec nos enfants et petits enfants… Mais également avec mes parents qui ne sont plus et n’ont été, tout en se côtoyant journellement puis régulièrement que des inconnus pour moi… Enfin, à vrai dire, j’hésite entre apprécier et détester ce texte.
Merci pour ce commentaire
Cordialement
Michel