La France au Sahel…

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la manière dont la France se retrouve prise à son propre piège, à force d’erreurs, d’impairs et d’imprudences.

Citons, par exemple, la ligne rouge maintes fois brandie du « Jamais avec Wagner ! ».

Si bien qu’aujourd’hui, alors que de 300 à 400 soldats russes réguliers ou de statut privé ont fini par se déployer au Mali en décembre, les militaires français doivent se résoudre à partager le terrain… avec Wagner, justement. Ou alors, partir — ce dont ils n’ont pas envie.

De même, fallait-il agiter sans cesse l’épouvantail du « mercenariat » alors que Paris envoyait naguère ses propres mercenaires ou assimilés au secours des chefs d’États en perdition au Gabon, au Bénin, aux Comores, au Congo, au Tchad, et encore récemment en Libye ?

Que dire aussi de cette mise en scène insistante des « appels à l’aide » successifs de Bamako depuis l’entrée en guerre au Mali sur décision du président François Hollande, une communication en vérité fortement suggérée afin de justifier l’intervention-éclair de 2013, comme ensuite l’opération Barkhane à l’échelle des cinq pays du G5 Sahel. Faute de tels appels, aujourd’hui, en tout cas de la part du régime malien, Paris se retrouve en porte-à-faux, accusé par les autorités de vouloir leur imposer une ligne politique et soupçonné par l’opinion de renouer avec sa tradition de « gendarme de l’Afrique ».

Erreur tactique aussi, voire stratégique, que d’avoir, sur ordre de l’exécutif parisien, évacué entièrement, en quelques semaines, les bases au nord du Mali : Kidal ( la « capitale » touareg), Tessalit (une garnison trop proche de la frontière algérienne pour ne pas avoir irrité Alger depuis des années), mais aussi la très symbolique et historique cité de Tombouctou… où sont apparus quelques jours plus tard les premiers soldats russes. Fallait-il se presser à ce point ?

Faute de com’ encore, si ce n’est stratégique, également, que d’avoir claironné à partir de juin 2021 la « fin de Barkhane », sans vraie concertation avec les principaux intéressés, fussent-ils ces chefs militaires refusant d’entamer un processus de transition, suscitant donc la colère des autorités, et faisant naître aussi des espoirs exagérés au sein de la classe politique et d’une partie de l’opinion maliennes ! Alors qu’il s’agit plutôt de facto d’une reconfiguration en bon ordre, avec réduction du dispositif, et passage de témoin à quelques centaines d’éléments des « forces spéciales » européennes.

Boulet européen

Comme le rappellent sur tous les tons les dirigeants à Paris, en ces temps de « présidence française de l’Union », la France désormais « n’est pas seule ». Au Sahel pas plus qu’ailleurs : elle doit informer et se concerter avec ses partenaires de l’Union et attendre l’issue des négociations, sans possibilité de l’anticiper avec certitude. Ainsi des sanctions envisagées par l’Union contre le régime militaire malien et son refus d’assumer une transition politique dans des délais raisonnables : la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a déjà donné le « la » en décrétant un quasi-blocus du Mali, avec fermeture des frontières terrestres et aériennes, suspension des transactions commerciales et gel des avoirs bancaires. Des mesures certes encouragées par Paris, qui devra cependant attendre le prochain rendez-vous européen fin janvier pour que l’Union s’y rallie officiellement, plusieurs semaines après les voisins africains. Bruxelles a déjà suspendu son aide budgétaire à l’État malien, mais ne remet pas en cause pour le moment son opération de formation des militaires (EUTM).

Pour les Français, tout cela tombe au plus mal. La force européenne Takuba, qui devait partiellement remplacer les unités tricolores, a bien fini par décoller : quatorze pays y participent désormais, bien qu’à des niveaux variables. Mais les tensions actuelles sur le terrain, la mésentente avec le régime malien, la timidité de leurs militaires (pour qui l’environnement africain est souvent une découverte un peu brutale) et de leurs dirigeants politiques (qui mesurent chichement les règles d’engagement de leurs compatriotes), etc., tout cela risque de déboucher sur des retraits, des défections, des non-renouvellements de mandats… et de mettre à mal l’édifice imaginé par Paris pour que son relais soit pris.

La Suède, qui déploie un contingent significatif (300 hommes) et assure en ce moment le commandement de Takuba, s’est dite « très préoccupée » et entend analyser l’actuelle situation : elle devrait se retirer dès cette année, plus tôt que prévu. En revanche, des contingents danois, roumain et hongrois sont attendus prochainement. Mais la force spéciale européenne Takuba, qui commence donc à être opérationnelle après deux ans de gestation, pourrait ne pas survivre à un désengagement total des Français.


Philippe Leymarie. Le monde Diplomatique — Le blog. Titre original : « Concurrencé par Wagner, Paris s’enlise au Sahel ». Source (Très court extraits)


3 réflexions sur “La France au Sahel…

  1. bernarddominik 24/01/2022 / 08:48

    Macron sait très bien comment parler à un banquier, mais face à un chef d’État qui ne raisonnement pas nécessairement en tiroir-caisse il est démuni et encore plus face à un Africain dont certains ont le courage de lui dire son fait, et d’autres, moins indépendants, utilisent des subtilités qui échappent à notre banquier.
    En Afrique ou la versatilité est la règle, on ne peut miser sur la durée. Donc, une opération qui s’enlise est vouée à l’échec. Barkhane n’était pas adaptée à la situation, les Russes plus pragmatiques vont peut-être réussir. Il fallait faire un deal pas ouvrir un second front

  2. jjbadeigtsorangefr 24/01/2022 / 09:47

    À vouloir ménager la chèvre et le chou, c’est le renard qui gagne…

  3. Danielle ROLLAT 26/01/2022 / 17:18

    Et un nouveau militaire Français vient d’y perdre la vie…

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