De but en blanc

Une expression qui parait évidente, mais l’est-elle tant que ça ?

Des premières arquebuses aux actuelles fusées à tête chercheuse la balistique a fait des progrès miraculeux, mais les principes fondamentaux demeurent les mêmes depuis le tir à l’arc le plus lointain : on peut tirer soit en pointant l’arme directement vers l’objet visé s’il est à courte distance, soit en compensant l’éloignement au moyen d’une hausse fixée sur le canon, qui fait décrire à la balle une courbe en hauteur avant d’atteindre l’objectif (ou de le rater d’ailleurs !). Cette seconde manière exige un calcul et un réglage de la bouche à feu, la première aucun : c’est le tir tendu, direct, que l’on appelait autrefois de but en blanc, ou encore (c’est le même mot : de butte en blanc).

Avant d’être « ce que l’on vise », le but, ou butte, était l’endroit d’où l’on tire, généralement un monticule surélevé. Le « blanc » était la cible (le mot cible, venant de Suisse, ne s’est répandu qu’à l’époque napoléonienne).

« De but en blanc » (explique Furetière) est aussi une façon de parler adverbiale, qui dans le propre se dit en parlant d’armes à feu et de gens qui tirent. Cela signifie, depuis le lieu où l’on est posté pour tirer jusqu’à celui où l’on doit tirer, et où est attaché le blanc auquel on vise.

 » Le canon des arquebuses buttières peut porter de but en blanc mille pas ou environ  » (Gaïa).

On le dit aussi au figuré, pour dire, tout droit, sans biaiser, d’une manière ouverte.

 » En venir de but en blanc à l’union conjugale, il n’est rien de si marchand que ce procédé  » (Molière).

On a dit également à une époque « de pointe en blanc » « De sorte que du dit bastion on tirait de pointe en blanc dans le passage » (M. du Bellay, in Littré).

Le mot butte avait déjà changé de camp, si l’on peut dire, au XVIe siècle, pour passer dans celui où nous le connaissons : l’objet visé.

Bien qu’un peu compliqués, les exercices de tir du jeune Gargantua font allusion à la chose: « visoyt de harquebouse à affeustoyt le canon, tyroit à la butte, au papagay [perroquet], du bas en mont, d’amont en val, davant, de costé, et en arrière comme les Parthes ».

Il est résulté de ce changement l’expression être en butte aux attaques, propres et figurées, c’est-à-dire exposé comme une cible peut l’être dans un champ de tir !


Claude Duneton – « La puce à l’oreille ».