[…] Les sujets qui font consensus parmi les économistes progressistes sont assez rares.
L’accroissement de la taxation de l’héritage en fait partie et c’est ce qu’a confirmé une note récente du Conseil d’analyse économique (CAE), instance plutôt orthodoxe, qui a défendu une refonte complète du système actuel en faveur de plus de redistribution.[…] En 2021, une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait plaidé aussi pour un durcissement de cet impôt.
Entre rationalité économique et démagogie
En réalité, économiquement, il n’y a pas grand-chose qui puisse justifier de défendre une protection et une exemption fiscale des transmissions d’héritages immenses. […][Les] keynésiens […] y voient la cristallisation des inégalités dommageables à l’activité, ou des marxistes, pour qui ce sont les moyens de perpétuer l’accumulation du capital et la propriété des moyens de production au sein de la classe capitaliste.
Mais les libéraux conséquents savent aussi que l’héritage est une rente qui conduit, dans le meilleur des cas, à de mauvaises allocations d’actifs, et dans le pire, comme le présentait Schumpeter, à un affaiblissement de l’esprit d’innovation.
[…] Que l’on défende l’égalité réelle ou « l’égalité des chances », on ne peut accepter de voir se développer une société d’héritiers et c’est bien le danger de la situation actuelle, si l’on en croit à la fois l’auteur de Capital et Idéologie et le CAE.
La France, qui contient plus ou moins les inégalités de revenu, a laissé filer les inégalités de patrimoine. Le système fiscal actuel, avec ses nombreuses exemptions, ne semble pas en mesure de briser le mouvement. Il faut donc le réformer.
Le problème, c’est la perception sociale de l’impôt sur les successions. C’est un impôt très fortement impopulaire, y compris chez ceux qui ne sont pas ou presque pas concernés. Celui-ci apparaît souvent comme une forme d’impôt injuste, qui frappe la mort et s’apparente au vol d’« une vie de labeur », au détriment d’une transmission perçue comme naturelle.
Un récent sondage publié dans “Les Échos” indique que 80 % des Français seraient favorables à une baisse des droits de succession.
Bien sûr, tout ceci est très artificiel et repose sur un mythe : les grands héritages comme les grandes fortunes sont surtout le fruit d’une vie de « rentes » et de placements financiers, et souvent même d’un précédent héritage. Mais une autre vision domine. Elle est finalement très rurale et ancrée dans une « France d’avant » mythifiée. C’est celle du petit paysan transmettant sa lessiveuse pleine de billets épargnés sou à sou sur chaque épi de blé vendu. La transmission serait le fruit légitime du travail et serait d’autant plus sacrée qu’elle appartiendrait à un défunt.
C’est dans ce contexte qu’un récent sondage publié dans Les Échos indique que 80 % des Français seraient favorables à une baisse des droits de succession. Mais ce même sondage montre nombre d’incohérences.
Les personnes interrogées ignorent en réalité le droit fiscal des successions et peuvent être favorables majoritairement à un plafonnement de celles-ci. Il n’empêche, ce refus presque instinctif est utilisé politiquement par les conservateurs, signe du caractère profondément rentier des élites économiques de ce pays.
Dès lors, le dilemme politique est assez complexe. Si l’on suit la cohérence économique, on risque de se retrouver face à la démagogie de ceux qui crieront au « vol ». Si l’on ne traite pas ce sujet par calcul politique, on ne s’attaque guère à un des moteurs principaux de l’inégalité.
[…]D’un côté, il y a ceux qui, d’Éric Zemmour à Emmanuel Macron, en passant par Marine Le Pen et Valérie Pécresse, tentent de capitaliser sur la détestation de l’impôt sur les successions en proposant de nouvelles exonérations, sans aucune modification du barème supérieur. […]
Le président de la République a évoqué une « transmission populaire » qui pourrait se traduire par de nouveaux allègements et exemptions, tandis que Bruno Le Maire, lui, a défendu un allègement des transmissions en ligne indirecte, sans alourdissement de la fiscalité par ailleurs.
Une chose semble donc certaine : le camp libéral a abandonné sa propre logique économique, qui veut que toute rente nuise à la croissance, au profit d’une forme de démagogie où, allant dans le sens de la doxa dominante, on défend la nécessité d’une baisse des impôts sur les successions.
Par conséquent, le côté de la raison économique se situe clairement à gauche où, globalement, on évoque un durcissement de l’impôt sur les hautes successions. […]
[…]
Romaric Godin Médiapart – Titre original : « Taxation de l’héritage : une lignée de fractures entre candidats à la présidentielle ». Source (Très courts extraits)
Il y a succession et succession, entre le patrimoine résultant d’une vie de travail et celui d’une vie d’exploitation il y a un monde que la taxation doit combler pour restituer à la nation ce que le vol a constitué.
Ramasser, toujours ramasser pour les mêmes, comme casquer, payer, trimer pour les autres.